Nord et sud
souci de produire
l’effet le plus charmant, et sur lesquels Edith régnait en maîtresse absolue depuis
les six dernières semaines, Margaret se sentait brusquement oppressée par un sentiment
de lassitude indescriptible, et éprouvait un réel besoin de deviser tranquillement
et agréablement avec quelqu’un sur le sujet du mariage.
— Oh, bien sûr, répondit-il, avec une soudaine gravité.
Il faut respecter les formes et la manière, non pas tant pour son propre plaisir
que pour faire taire le monde, car faute de lui clore le bec, on n’aurait guère
de satisfactions dans l’existence. Mais comment organiseriez-vous un mariage ?
— Oh, je n’y ai jamais vraiment songé ; mais j’aimerais
qu’il ait lieu par un beau matin d’été ; j’aimerais me rendre à l’église à
pied, à l’ombre des arbres ; et éviter d’avoir autant de demoiselles d’honneur,
et je ne veux pas non plus de repas de noces. Je crois que me voilà précisément
en train d’éliminer tout ce qui vient de me donner tant de tracas.
— Non, je ne pense pas. L’idée d’une simplicité digne s’accorde
bien à votre caractère.
Ce discours ne plaisait guère à Margaret ; elle en éprouva
d’autant plus de répugnance qu’elle se souvenait d’autres occasions où – de façon
flatteuse – il avait déjà essayé de l’entraîner dans une discussion sur son caractère
et ses façons de faire. Elle coupa court aux remarques de Mr Lennox en disant :
— Si je pense à l’église de Helstone et à l’allée qui y
mène, plutôt qu’à une église londonienne à laquelle on accède en voiture par une
rue pavée, c’est bien naturel.
— Parlez-moi de Helstone. Jamais vous ne me l’avez dépeint.
J’aimerais avoir une idée de l’endroit où vous habiterez, alors que le quatre-vingt-seize
Harley Street paraîtra sale et sordide, triste et confiné. Et d’abord, Helstone
est-il un village ou une ville ?
— Oh, un simple hameau ; je ne pourrais assurément
pas utiliser le mot « village » pour le décrire. Il y a l’église et quelques
maisons à côté, des cottages plus précisément, sur la pelouse communale croulant
sous les roses.
— Qui fleurissent toute l’année, et surtout à Noël. Complétez
votre tableau.
— Non, rétorqua Margaret, contrariée. Je ne brosse pas un
tableau. Je m’efforce de décrire Helstone tel qu’il est en réalité. Vous n’auriez
pas dû dire cela.
— Je me repens. C’est que la description évoquait davantage
un village de conte de fées qu’un lieu réel.
— Il est pourtant bien ainsi, répondit Margaret sur un ton
pénétré. Tous les autres endroits que j’ai vus en Angleterre semblent moins plaisants
à l’œil, bien plus quelconques, comparés à ceux de New Forest [5] . Helstone ressemble
à un village sorti d’un poème. Un poème de Tennyson. Mais je ne tenterai plus de
le décrire. Vous ne feriez que vous moquer de moi si je vous disais ce que j’en
pense, ce qu’il est véritablement.
— Certainement pas. En tout cas, je vous vois fort déterminée.
Alors, dites-moi ce que j’aimerais encore davantage savoir : à quoi ressemble
le presbytère ?
— Oh, je ne peux pas décrire ma maison. C’est mon foyer,
et je ne saurais traduire son charme en paroles.
— Je m’incline. Vous êtes plutôt sévère ce soir, Margaret.
— Comment cela ? demanda-t-elle en tournant vers lui
ses grands yeux pleins de douceur. Je ne m’en rendais pas compte.
— Eh bien, parce que j’ai fait une réflexion malheureuse,
vous refusez de me dire à quoi ressemble Helstone, vous refusez aussi de me décrire
le presbytère, alors que je vous ai exprimé toute l’envie que j’avais d’en savoir
davantage sur l’un et l’autre lieu, surtout le dernier.
— Mais voyons, je ne peux pas vous décrire ma maison. C’est
un endroit dont il est impossible de parler, je crois, sauf à quelqu’un qui le connaîtrait.
— Soit, dit-il, marquant une petite pause. Alors, racontez-moi
ce que vous y faites. Ici, vous lisez ou vous vous instruisez, ou encore vous vous
cultivez l’esprit jusqu’à midi ; vous marchez un peu avant le déjeuner, puis
vous faites une promenade en voiture avec votre tante, et dans la soirée, vous avez
des obligations mondaines. Alors à présent, remplissez votre journée à Helstone.
Vous y promenez-vous à cheval, en voiture ou à pied ?
— À pied, assurément. Nous n’avons pas de cheval, pas
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