Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.
toujours dans la ligne droite. Je dois à la république le sacrifice de toutes mes idées.
Si l'on cherche à me mettre mal dans votre esprit, ma réponse est dans mon coeur et dans ma conscience.
Comme il serait possible que cette lettre, au directoire, ne fût pas bien interprétée, et que vous m'avez témoigné de l'amitié, je prends le parti de vous l'adresser, en vous priant d'en faire l'usage que vous suggéreront votre prudence et votre attachement pour moi.
Kellermann commandera l'armée aussi bien que moi ; car personne n'est plus convaincu, que je ne le suis, que les victoires sont dues au courage et à l'audace de l'armée ; mais je crois que, réunir Kellermann et moi en Italie, c'est vouloir tout perdre. Je ne puis pas servir volontiers avec un homme qui se croit le premier général de l'Europe ; et, d'ailleurs, je crois qu'il faut plutôt un mauvais général que deux bons. La guerre est comme le gouvernement, c'est une affaire de tact.
Je ne puis vous être utile qu'investi de la même estime que vous me témoigniez à Paris. Que je fasse la guerre ici ou ailleurs, cela m'est indifférent : servir la patrie, mériter de la postérité une feuille de notre histoire, donner au gouvernement des preuves de mon attachement et de mon dévouement, voilà toute mon ambition. Mais j'ai fort à coeur de ne pas perdre, dans huit jours, deux mois de fatigues, de peines et de dangers, et de ne pas me trouver entravé. J'ai commencé avec quelque gloire, je désire continuer d'être digne de vous. Croyez, d'ailleurs, que rien n'altérera l'estime que vous inspirez à ceux qui vous connaissent.
BONAPARTE.
Au directoire exécutif.
Je reçois à l'instant le courrier parti, le 18, de Paris.
Vos espérances sont réalisées, puisqu'à l'heure qu'il est, toute la Lombardie est à la république. Hier, j'ai fait partir une division pour cerner le château de Milan. Beaulieu est à Mantoue avec son armée ; il a inondé tout le pays environnant ; il y trouvera la mort, car c'est le plus malsain de l'Italie.
Beaulieu a encore une armée nombreuse : il a commencé la campagne avec des forces supérieures ; l'empereur lui envoie dix mille hommes de renfort, qui sont en marche. Je crois très-impolitique de diviser en deux l'armée d'Italie ; il est également contraire aux intérêts de la république d'y mettre deux généraux différens.
L'expédition sur Livourne, Rome et Naples est très-peu de chose : elle doit être faite par des divisions en échelons, de sorte que l'on puisse, par une marche rétrograde, se trouver en force contre les Autrichiens, et menacer de les envelopper au moindre mouvement qu'ils feraient. Il faudra pour cela non-seulement un seul général, mais encore que rien ne le gêne dans sa marche et dans ses opérations. J'ai fait la campagne sans consulter personne, je n'eusse rien fait de bon s'il eût fallu me concilier avec la manière de voir d'un autre. J'ai remporté quelques avantages sur des forces supérieures, et dans un dénuement absolu de tout, parce que, persuadé que votre confiance se reposait sur moi, ma marche a été aussi prompte que ma pensée.
Si vous m'imposez des entraves de toutes espèces ; s'il faut que je réfère de tous mes pas aux commissaires du gouvernement ; s'ils ont droit de changer mes mouvemens, de m'ôter ou de m'envoyer des troupes, n'attendez plus rien de bon.
Si vous affaiblissez vos moyens en partageant vos forces ; si vous rompez en Italie l'unité de la pensée militaire, je vous le dis avec douleur, vous aurez perdu la plus belle occasion d'imposer des lois à l'Italie.
Dans la position des affaires de la république en Italie, il est indispensable que vous ayez un général qui ait entièrement votre confiance : si ce n'était pas moi, je ne m'en plaindrais pas ; mais je m'emploierais à redoubler de zèle pour mériter votre estime dans le poste que vous me confieriez. Chacun a sa manière de faire la guerre. Le général Kellermann a plus d'expérience et la fera mieux que moi ; mais tous les deux ensemble nous la ferons fort mal.
Je ne puis rendre à la patrie des services essentiels qu'investi entièrement et absolument de votre confiance. Je sens qu'il faut beaucoup de courage pour vous écrire cette lettre, il serait si facile de m'accuser d'ambition et d'orgueil ! mais je vous dois l'expression de tous mes sentimens, à vous qui m'avez donné dans tous les temps des témoignages d'estime que je ne dois pas oublier.
Les
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