Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome II.
traité du roi de Sardaigne me privait de dix mille hommes et me donnait des inquiétudes réelles sur mes derrières, qui s'affaiblissaient par les armemens extraordinaires de Naples.
4°. Les cimes des montagnes sont déjà couvertes de neige : je ne pouvais pas, avant un mois, commencer les opérations militaires, puisque, par une lettre que je reçois du général qui commande l'armée d'Allemagne, il m'instruit du mauvais état de son armée, et me fait part que l'armistice de quinze jours qui existait entre les armées n'est pas encore rompu. Il faut dix jours pour qu'un courrier se rende d'Udine à l'armée d'Allemagne annoncer la rupture ; les hostilités ne pouvaient donc en réalité commencer que vingt-cinq jours après la rupture, et alors nous nous trouvions dans les grandes neiges.
5°. Il y aurait eu le parti d'attendre au mois d'avril et de passer tout l'hiver à organiser les armées et à concerter un plan de campagne, qui était, pour le dire entre nous, on ne peut pas plus mal combiné ; mais ce parti ne convenait pas à la situation intérieure de la république, de nos finances et de l'armée d'Allemagne.
6°. Nous avons la guerre avec l'Angleterre : cet ennemi est assez considérable.
Si l'empereur répare ses pertes dans quelques années de paix, la république cisalpine s'organisera de son côté, et l'occupation de Mayence et la destruction de l'Angleterre nous compenseront de reste et empêcheront bien ce prince de penser à se mesurer avec nous.
7°. Jamais, depuis plusieurs siècles, on n'a fait une paix plus brillante que celle que nous faisons. Nous acquérons la partie de la république de Venise la plus précieuse pour nous. Une autre partie du territoire de cette république est acquise à la Cisalpine, et le reste à l'empereur.
8°. L'Angleterre allait renouveler une autre coalition.
La guerre, qui a été nationale et populaire lorsque l'ennemi était sur nos frontières, semble aujourd'hui étrangère au peuple, et n'est devenue qu'une guerre de gouvernement. Dans l'ordre naturel des choses, nous aurions fini par y succomber.
9°. Lorsque la Cisalpine a les frontières les plus militaires de l'Europe, que la France a Mayence et le Rhin, qu'elle a dans le Levant Corfou, place extraordinairement bien fortifiée, et les autres îles, que veut-on davantage ? Diverger nos forces, pour que l'Angleterre continue à enlever à nous, a l'Espagne, à la Hollande leurs colonies, et éloigner encore pour long-temps le rétablissement de notre commerce et de notre marine ?
10°. Les Autrichiens sont lourds et avares : aucun peuple moins intrigant et moins dangereux pour nos affaires militaires qu'eux ; l'Anglais, au contraire, est généreux, intrigant, entreprenant. Il faut que notre gouvernement détruise la monarchie anglicane, ou il doit s'attendre lui-même à être détruit par la corruption et l'intrigue de ces actifs insulaires. Le moment actuel nous offre un beau jeu. Concentrons toute notre activité du côté de la marine, et détruisons l'Angleterre : cela fait, l'Europe est à nos pieds.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trévise, le 5 brumaire an 6 (26 octobre 1797).
Au citoyen Villetard.
J'ai reçu, citoyen, votre lettre du 3 brumaire, je n'ai rien compris à son contenu ; il faut que je ne me sois pas bien expliqué avec vous.
La république française n'est liée avec la municipalité de Venise par aucun traité qui nous oblige à sacrifier nos intérêts et nos avantages à celui du comité du salut public ou de tout autre individu de Venise.
Jamais la république française n'a adopté pour maxime de faire la guerre pour les autres peuples. Je voudrais connaître quel serait le principe de philosophie ou de morale qui ordonnerait de faire sacrifier 40,000 Français contre le voeu bien prononcé de la nation et l'intérêt bien entendu de la république.
Je sais bien qu'il n'en coûte rien à une poignée de bavards, que je caractériserais bien en les appelant fous, de vouloir la république universelle ; je voudrais que ces messieurs pussent faite une campagne d'hiver : d'ailleurs, la nation vénitienne n'existait pas. Divisés en autant d'intérêts qu'il y a de villes, efféminés et corrompus, aussi lâches qu'hypocrites, les peuples de l'Italie, et spécialement le peuple vénitien, n'est pas fait pour la liberté. S'il était dans le cas de l'apprécier, et s'il avait les vertus nécessaires pour l'acquérir, eh bien ! la circonstance actuelle lui
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