Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
pouvoir, et l'armée française resta victorieuse aux champs de Leipsick, comme elle l'avait été aux champs de Wachau.
A la nuit, le feu de nos canons avait, sur tous les points, repoussé à une lieue du champ de bataille le feu de l'ennemi.
Les généraux de division Vial et Rochambeau sont morts glorieusement.
Notre perte dans cette journée peut s'évaluer à quatre mille tués ou blessés ; celle de l'ennemi doit avoir été extrêmement considérable. Il ne nous a fait aucun prisonnier, et nous lui avons pris cinq cents hommes.
A six heures du soir, l'empereur ordonna les dispositions pour la journée du lendemain. Mais à sept heures, les généraux Sorbier et Dulauloy, commandant l'artillerie de l'armée et de la garde, vinrent à son bivouac lui rendre compte des consommations de la journée : on avait tiré quatre-vingt-quinze mille coups de canon : ils dirent que les réserves étaient épuisées, qu'il ne restait pas plus de seize mille coups de canon ; que cela suffisait à peine pour entretenir le feu pendant deux heures, et qu'en suite on serait sans munitions pour les événemens ultérieurs ; que l'armée, depuis cinq jours, avait tiré plus de deux cent vingt mille coups de canon, et qu'on ne pourrait se réapprovisionner qu'à Magdebourg ou à Erfurt.
Cet état de choses rendait nécessaire un prompt mouvement sur un de nos deux grands dépôts : l'empereur se décida pour Erfurt, par la même raison qui l'avait décidé à venir sur Leipsick, pour être à portée d'apprécier l'influence de la défection de la Bavière.
L'empereur donna sur-le-champ les ordres pour que les bagages, les parcs, l'artillerie, passassent les défilés de Lindenau ; il donna le même ordre à la cavalerie et à différens corps d'armée ; et il vint dans les faubourgs de Leipsick, à l'hôtel de Prusse, où il arriva à neuf heures du soir.
Cette circonstance obligea l'armée française à renoncer aux fruits des deux victoires où elle avait ; avec tant de gloire, battu des troupes de beaucoup supérieures en nombre et les armées de tout le continent.
Mais ce mouvement n'était pas sans difficulté.
De Leipsick à Lindenau, il y a un défilé de deux lieues, traversé par cinq ou six ponts. On proposa de mettre six mille hommes et soixante pièces de canon dans la ville de Leipsick, qui a des remparts, d'occuper cette ville comme tête de défilé, et d'incendier ses vastes faubourgs, afin d'empêcher l'ennemi de s'y loger, et de donner jeu à noire artillerie placée sur les remparts.
Quelque odieuse que fût la trahison de l'armée saxonne, l'empereur ne put se résoudre à détruire une des belles villes de l'Allemagne, à la livrer à tous les genres de désordre inséparables d'une telle défense, et cela sous les yeux du roi, qui, depuis Dresde, avait voulu accompagner l'empereur, et qui était si vivement affligé de la conduite de son armée. L'empereur aima mieux s'exposer à perdre quelques centaines de voitures que d'adopter ce parti barbare.
A la pointe du jour, tous les parcs, les bagages, toute l'artillerie, la cavalerie, la garde et les deux tiers de l'armée avaient passé le défilé.
Le duc de Tarente et le prince Poniatowski furent chargés de garder les faubourgs, de les défendre assez de temps pour laisser tout déboucher, et d'exécuter eux-mêmes le passage du défilé vers onze heures.
Le magistrat de Leipsick envoya, à six heures du matin, une députation au prince de Schwartzenberg, pour lui demander de ne pas rendre la ville le théâtre d'un combat qui entraînerait sa ruine.
A neuf heures, l'empereur monta à cheval, entra dans Leipsick et alla voir le roi. Il a laissé ce prince maître de faire ce qu'il voudrait, et de ne pas quitter ses états, en les laissant exposés à cet esprit de sédition qu'on avait fomenté parmi les soldats.
Un bataillon saxon avait été formé à Dresde, et joint à la jeune garde. L'empereur le fit ranger à Leipsick, devant le palais du roi, pour lui servir de garde, et pour le mettre à l'abri du premier mouvement de l'ennemi.
Une demi-heure après, l'empereur se rendit à Lindenau, pour y attendre l'évacuation de Leipsick, et voir les dernières troupes passer les ponts avant de se mettre en marche.
Cependant l'ennemi ne tarda pas à apprendre que la plus grande partie de l'armée avait évacué Leipsick, et qu'il n'y restait qu'une forte arrière-garde. Il attaqua vivement le duc de Tarente et le prince Poniatowski ; il fut plusieurs
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