Par ce signe tu vaincras
par plusieurs coups de pique, venant me délivrer de la vie, de ce bagne.
Mais, avant de parvenir jusqu’à Dragut, il m’aurait fallu pouvoir franchir les trois rangs de janissaires qui entouraient son fauteuil pourpre.
Et lorsqu’il s’avançait parmi nous, ses gardes formaient autour de lui une muraille de leurs corps.
Ils m’auraient arrêté sans me tuer et les bourreaux auraient inventé pour moi les supplices les plus lents. Vainement j’aurais attendu la mort.
Il me fallait renoncer.
Alors j’ai songé à fuir.
La haine ne pouvait me retenir à Alger, puisque je ne réussissais pas à l’assouvir. Il me fallait recouvrer la liberté afin de revenir, un jour, brûler ce nid de corsaires, ce lieu de perdition et de souffrances.
Je me souvenais que Charles Quint, des années auparavant, avait conquis Tunis et arraché au bagne plusieurs milliers d’esclaves chrétiens.
Je devais me mettre à son service ou à celui de Philippe II, son fils, roi des Espagnes. Nous chasserions des terres chrétiennes et de la Méditerranée les infidèles. Je trancherais le cou de Dragut-le-Brûlé. Fuir, donc.
J’ai cherché des complices. Je me souviens de leurs noms : Campana, Pérez, Camoens, Montoya, Alvarro, Cayban.
Ce dernier était un renégat qui, en pleurant, avouait qu’il avait eu un moment de faiblesse, de lâcheté. Dragut-le-Cruel – et Cayban crachait à terre – l’avait menacé de livrer devant lui aux chiens son jeune frère, et il avait accepté que le capitan-pacha abuse de lui. Ayant commis le péché de sodomie, Dragut l’avait rejeté en lui donnant comme prix de ses services le droit de se convertir. Cayban était devenu musulman, libre. Il pouvait aller à sa guise en ville, parcourir le pays. Mais, disait-il, il voulait se racheter, retrouver la Catalogne, obtenir des chrétiens qu’il aidait les témoignages qui lui permettraient de rentrer dans le giron de la sainte Église, et d’obtenir le pardon.
Il était prêt à affronter un tribunal de l’Inquisition, encore fallait-il qu’on y témoignât en sa faveur. Pour obtenir notre appui, il nous guiderait vers Oran l’Espagnole. Il connaissait tout au long de la route des lieux où nous pourrions nous abriter, grottes ou jardins, criques où parfois venaient relâcher des galères françaises ou ibériques sur lesquelles nous pourrions embarquer.
Il avait besoin, pour organiser notre fuite, de quelques ducats.
Nous avons rassemblé nos pauvres fortunes et Michele Spriano, qui refusait de se joindre à nous, persuadé que nous serions repris, a donné tout ce qu’il possédait. Nous nous sommes embrassés et, par une nuit aussi claire que celle durant laquelle j’avais franchi le mur entourant le jardin et le palais de Dragut, nous sommes partis.
Au matin du septième jour, Cayban, qui nous avait guidés jusqu’à une grotte située à mi-hauteur d’une falaise surplombant la mer, a disparu.
Il avait emporté la bourse dans laquelle je gardais les ducats que Michele Spriano m’avait donnés.
J’ai réveillé mes compagnons, mais, avant même que nous ayons pu décider de la conduite à tenir, des janissaires ont envahi la grotte, nous poussant de leurs piques contre les parois, nous frappant, puis nous enchaînant.
Cayban nous attendait au-dehors, assis sur un rocher, et il a ri en nous voyant passer, liés les uns aux autres.
Que Dieu lui réserve en enfer le sort des sodomites !
Nous avons couru jusqu’à Alger. Les janissaires allaient au trot de leurs petits chevaux pommelés auxquels ils nous avaient attachés, ne s’arrêtant pas quand nous trébuchions, la chute de l’un d’entre nous entraînant celle de tous les autres.
Au deuxième matin, Campana est tombé et ne s’est pas relevé. Nous avons dû tirer son corps qui se déchirait sur les pierres du chemin.
Le soir seulement les janissaires ont détaché son cadavre, et en dépit de leurs coups nous l’avons enseveli sous des pierres.
Le lendemain, ils nous ont forcés à porter de ces mêmes pierres tout en courant et ils s’esclaffaient de nous voir claudiquer, nous agenouiller.
Au troisième jour, Camoens est mort à son tour.
Sans doute ont-ils craint de se présenter devant Dragut sans aucun captif debout. Dès lors ils ont ralenti le pas et nous ont laissés nous délester de nos pierres.
J’ai pensé qu’il eût mieux valu mourir sur le chemin que sur la potence.
On nous a fait agenouiller devant Dragut.
Perez a été le
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