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Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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elle parle lentement avec les intonations si changeantes, aiguës puis graves, légères puis rauques, des femmes arabes.
    Chaque son me déchire la poitrine comme si le bourreau m’arrachait des lambeaux de peau.
    Et son rire, et le mouvement de son corps.
    Mathilde a pris le bras de l’autre femme ; elles marchent dans le patio, leurs tempes appuyées l’une à l’autre, leurs cheveux mêlés. Elles rient par longues cascades. Leurs trilles m’emplissent la tête, y résonnent.
    Qu’est-elle devenue, Mathilde de Mons ?
    Elle s’assied à quelques pas de la haie qui me cache. Elle me fait ainsi face. Elle lève les bras, ajuste un voile léger sur son visage. Puis, avec les mêmes mouvements lents, elle cache ses cheveux.
    L’autre femme, debout près du banc de marbre, l’imite puis claque des mains.
    Des domestiques surgissent, disposent des corbeilles de fruits, des cruches, des verres. Ils tournent autour des deux femmes comme des chiens serviles.
    Elles les ignorent. Mathilde de Mons les renvoie même d’un geste méprisant de la main.
    Ils disparaissent et les rires jaillissent à nouveau.
    J’ai dans les oreilles les cris des chrétiens que, chaque matin, sur ordre de Dragut, devant son fauteuil pourpre, on supplicie.
    Ici, c’est moi qu’on met à la torture.
    J’ai la tentation de sortir de l’ombre, d’avancer jusqu’à Mathilde, de lui lancer son nom et ses origines au visage, puis de la tuer.
    Mais je reste tapi cependant que passent à l’intérieur du palais des domestiques portant des chandeliers.
    On entend d’autres rires de femmes.
    Mathilde se lève. Elle fait quelques pas dans ma direction.
    — Mathilde, Mathilde de Mons…
    J’ai dû parler plus fort, car l’autre femme, sur le seuil du palais qu’elle s’apprêtait à franchir, s’est retournée, lançant quelques mots auxquels Mathilde répond en noyant ses mots dans un long rire.
    Elle s’approche encore, scrute l’obscurité où j’ai gardé de bouger.
    Est-ce qu’elle murmure : « Qui que tu sois, va-t’en ! » avant de s’élancer vers le palais, traversant le patio en courant, ses voiles roses voletant autour d’elle ?
    Je ne sais plus.

16.
    J’ai fui, oubliant toute prudence, courant sans me soucier d’être vu ou entendu entre les massifs de lauriers, sous les orangers, écartant leurs branches avec violence, cassant certaines d’entre elles, puis m’agrippant aux pierres du mur, m’y déchirant les paumes et les genoux.
    C’était l’aube et, après cette nuit lumineuse, le ciel s’était assombri, le vent venu du sud était chaud et humide, et j’ai reçu en plein visage les gouttes épaisses, larges et tièdes de l’averse rageuse qui noyait Alger.
    Peut-être la pluie m’a-t-elle sauvé. Les portes des remparts n’étaient pas gardées. Les ruelles étaient vides. L’eau y courait, boueuse comme celle d’un torrent en crue.
    J’avançais sans penser à rien et ce n’est qu’au moment de retrouver ma place dans le bagne que j’ai compris que j’avais l’enfer en moi.
    Je me suis recroquevillé comme si j’avais pu ainsi étouffer ce feu qui me dévorait la poitrine.
    J’ai serré aussi fort que j’ai pu mes jambes entre mes bras. J’ai martelé mon front contre mes genoux.
    Mais la brûlure s’est faite plus vive.
    J’étais l’un de ces damnés dont la tombe est un éternel brasier.
    Mes flammes, c’étaient les rires de ces femmes dont l’une était Mathilde de Mons, dans le patio du palais de Dragut. C’étaient les perles et les bijoux dont elle était parée. C’était la langue des infidèles qu’elle parlait.
    C’étaient enfin ces mots que j’avais entendus, dont je me persuadais peu à peu qu’elle ne les avait pas prononcés mais qui pourtant me tenaillaient comme une de ces pinces chauffées à blanc avec lesquelles le bourreau, devant le fauteuil pourpre de Dragut, arrachait les chairs des suppliciés, nos martyrs.
    Et Mathilde riait dans le palais de ce renégat. Elle était même la première des femmes de son harem.
    Je me suis tourné vers Michele Spriano. J’ai serré les poings sur ma poitrine et l’en ai frappée. J’ai dit :
    — C’est une truie ! une traîtresse ! une renégate ! une putain !
    Et les coups que je me portais étaient si forts qu’il me semblait que tout mon corps en résonnait.
    Spriano m’a enserré les poignets, les a immobilisés. Je lui ai alors raconté ce que j’avais vu.
    Il a baissé la tête et

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