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Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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plusieurs années – avait passé et que Mathilde n’était plus la jeune fille que j’avais vue à Marseille, puis au Castellaras de la Tour, ou entraperçue sur cette place, à Toulon, les cheveux dénoués, si fière.
    L’angoisse me saisissait. Peut-être, mis en face l’un de l’autre, serions-nous comme deux étrangers ayant tant vécu séparés qu’ils ne peuvent plus se comprendre ?
    Mocenigo et Ramoin m’avaient raconté comment, après des années de captivité, et avant qu’ils ne se soient convertis à l’islam, l’un et l’autre s’étaient retrouvés en pays chrétien. Mais ils avaient été si surpris par des mœurs qu’ils avaient oubliées qu’ils avaient choisi de retourner parmi les infidèles dont ils se sentaient désormais plus proches. Et ils étaient ainsi devenus musulmans, des renégats.
    Je ressassais ces propos et mes propres doutes. Je ne quittais plus le bagne en dépit des exhortations de Spriano qui tentait de me redonner espoir.
    Il me parlait de Sarmiento qui avait dû regagner l’Espagne et commencé soit à réunir notre rançon, soit à rassembler un équipage pour armer une frégate qui viendrait rôder devant les côtes barbaresques et nous recueillir quand nous serions prêts à fuir.
    Il faudrait profiter du départ de Dragut et de l’arrivée d’un nouveau capitan-pacha moins averti et peut-être moins cruel.
    Mais Mathilde de Mons, éloignée d’Alger, serait à jamais perdue.
    Il fallait que je la voie, qu’elle fuie avec moi.
    Je devais franchir ce mur.

15.
    Je me hisse sur le faîte du mur et je regarde autour de moi.
    La nuit, après l’orage de l’après-midi, est plus claire que le jour.
    J’écarte les branches des orangers qui frôlent l’enceinte. Elles sont encore ployées, leurs feuilles chargées de pluie. Certaines sont même cassées, car le vent a soufflé fort.
    J’avais espéré que l’averse et la rumeur de la tempête me protégeraient. Mais, au crépuscule, le temps a changé, l’horizon s’est éclairci et le ciel, au fur et à mesure que la nuit tombait, s’est peu à peu dégagé.
    On doit me voir du palais de Dragut.
    Je saute, entraînant des branches avec moi. On doit m’entendre.
    Je reste couché sur la terre meuble. Des gouttes de pluie glissent des feuilles sur mon visage.
    Je commence à avancer, courbé, poussant de la poitrine et de l’avant-bras les branches les plus basses.
    Ce n’est pas la forêt obscure – la selva oscura dont parle Dante – et je ne suis pas, comme le poète in mezzo del camin di nostra vita, au milieu du chemin de ma vie.
    Mais, comme lui, j’entre dans l’un des cercles de l’Enfer.
    Dieu seul, s’il le veut, pourra me protéger.
    J’aperçois maintenant les escaliers qui mènent à une terrasse. Elle longe la façade du palais, d’une blancheur de mort. Aucun reflet, pas même sur les mosaïques ou la coupole. C’est comme si toute la clarté de la nuit était absorbée.
    Je m’approche encore, caché par les haies de lauriers qui dessinent un labyrinthe.
    Tout à coup, je vois des silhouettes à quelques pas. Je devine les piques, les hauts turbans des janissaires. Ils longent la terrasse, disparaissent. Leurs voix s’éloignent.
    Je bondis.
    J’aperçois derrière la façade, au-delà d’une poterne cerclée de mosaïques, un patio au centre duquel la lueur lunaire joue avec le jet d’une fontaine.
    Une femme est assise, figée dans la clarté, statue blanche enveloppée de voiles roses, les bras cerclés de bracelets dont les pierres scintillent, ses mèches longues retenues par un diadème.
    Elle a le visage nu.
    Elle se lève et avance. Ses cheveux sont blonds.
    Une voix l’appelle. Elle comprend cette langue, l’arabe. Elle rit en levant le menton, ses cheveux tombent jusqu’à ses hanches comme une traîne.
    Je vois se dessiner son profil sur le blanc terne du mur.
    — Mathilde, Mathilde de Mons.
    J’ai répété son nom en chuchotant.
    Je suis sûr qu’elle a entendu. Son corps s’est raidi, cambré. Mais la voix de femme enjouée venue du palais l’appelle à nouveau. Mathilde s’est tournée vers le coin sombre où je suis tapi.
    — Mathilde, Mathilde de Mons !
    Elle recule d’un pas.
    La voix l’interpelle.
    Je distingue une silhouette de femme enveloppée de voiles qui s’avance dans le patio. Elle ressemble à une haute fleur que le vent balance.
    Mathilde se tourne vers elle, rit, puis, comme si elle avait voulu que je distingue chaque mot,

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