Par ce signe tu vaincras
dévisageant.
Il s’est assis, nous a invités à l’imiter, a posé la lanterne entre ses cuisses, puis a marmonné :
— Mais, ici, nous sommes d’abord chrétiens.
Il appareillait le lendemain. Il allait longer les côtes barbaresques, puis celles d’Espagne. Il n’attaquerait que les navires espagnols et génois, les meilleures prises, leurs coques toujours pleines de pièces de drap, d’épices et d’armes.
Il pouvait nous débarquer sur la côte espagnole ou bien, si nous combattions avec lui, à La Rochelle. Il comptait franchir le détroit de Gibraltar dans quelques semaines.
Tout à coup, il a ri.
— À La Rochelle, il vous faudra choisir : huguenots ou catholiques. Selon les humeurs du temps, on dresse des bûchers pour les uns ou pour les autres. Si les bourreaux ne valent pas ceux des infidèles, ils savent allumer un feu.
J’ai dit :
— L’Espagne.
Robert de Buisson a secoué la bourse et lancé en se levant :
— Va pour l’Espagne.
TROISIÈME PARTIE
20.
Libre !
Je prie, agenouillé sur le sable d’Espagne, là où les vagues viennent mourir.
Je remplis mes paumes de cette eau bruissante, plonge mon visage dans la vasque de mes doigts.
J’aime le goût salé de la mer. C’est l’âpre saveur de la liberté.
Merci, Seigneur !
Michele Spriano s’agenouille près de moi, puis se redresse presque aussitôt. Il traverse la plage, écarte les roseaux qui couronnent les dunes, grimpe sur les rochers. Sa silhouette se détache sur le ciel encore sombre de l’aube. Il fait de grands gestes, m’invite à le rejoindre.
Je ne bouge pas.
Je veux que l’instant où je recouvre la liberté sur une terre chrétienne se prolonge.
Je suis comme Dante lorsqu’il aborde le rivage du Paradis.
Le soleil qui s’élève au-dessus des collines entourant la baie m’éblouit.
Je ne vois plus Michele Spriano.
Je me retourne.
La chaloupe qui nous a conduits à terre a déjà rejoint le navire. Les marins s’affairent. Dans le silence de l’aube à peine effrangé par le ressac, j’entends la voix de Robert de Buisson qui donne l’ordre de hisser les voiles.
Elles claquent, puis se gonflent. Le navire met cap au large.
Buisson nous avait avertis qu’il ne s’attarderait pas le long de cette côte andalouse. De la pointe de Palos à Málaga, elle était infestée par les corsaires de Tétouan. Ils hantaient les criques et les golfes, se tenaient à l’affût derrière les caps. Ils attaquaient tous les navires autres que barbaresques et bénéficiaient de la complicité des Maures qui peuplaient l’ancien royaume arabe de Grenade et de Cordoue.
Les Espagnols, avait ricané Robert de Buisson avec une moue de mépris, imaginaient avoir converti les Maures !
— Les papistes prennent leurs rêves pour la réalité. Ils croient que le corps du Christ est dans un morceau de pain, et son sang dans un verre de vin ! Alors ils ont pensé que les Maures qui entraient dans les églises et y priaient étaient devenus de bons chrétiens !
Robert de Buisson s’était exclamé, en crachant sur le pont à nos pieds :
— Faux renégats, faux convertis ! Les Maures prient, mais en direction de La Mecque. Je n’ai encore jamais rencontré un musulman devenu vraiment chrétien !
Ces Maures, avait poursuivi Buisson, s’ils nous découvraient, s’empareraient de nous pour nous livrer aux Barbaresques. Nous étions de bonne prise, des captifs de rançon qu’ils pourraient monnayer. Et si nous résistions ils nous trancheraient la gorge.
Il avait fait glisser son pouce en travers de son cou.
Mais les Espagnols ne seraient pas plus tendres. Ils exigeraient de savoir qui nous avait déposés sur leur côte. Ils se méfiaient des corsaires français.
— Ils me haïssent plus encore qu’ils ne détestent les Barbaresques. Je suis de La Rochelle. Ils ne savent rien de l’Océan, alors que le pays des Barbaresques est le jumeau du leur. Les Maures sont leurs voisins. C’est moi, l’étranger ! Que leur importe que je sois chrétien ? D’ailleurs, à leurs yeux, je suis hérétique !
Robert de Buisson m’avait saisi par l’épaule au moment où j’embarquais dans la chaloupe.
— Thorenc, vous êtes de bonne lignée franque. Papiste, mais votre père est au roi ! Qu’allez-vous faire en Espagne en compagnie d’un marchand florentin ? Un Italien est toujours un serpent : voyez la reine, cette Médicis ! Ça sue le venin par tous les pores. Et, pour les
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