Par ce signe tu vaincras
présence au Palacio Sarmiento. On m’avait suivi dès mon entrée dans la ville. On savait donc qui m’avait accueilli et caché au Palacio Sarmiento. Un jour, dans quelques mois ou quelques années, Luis Rodriguez craignait d’être arrêté, traduit devant le tribunal de l’Inquisition. On lui rappellerait comment il avait hébergé un étranger, un Français, ancien captif des infidèles, peut-être un renégat, un espion du roi de France et du sultan.
— Ils savent tout. Ils connaissent la vie des gens depuis leur naissance, a ajouté Rodriguez. Ils me condamneront quand ils jugeront le moment venu. Ils me proscriront ou m’enfermeront pour le restant de mes jours, ou bien ils me tortureront puis me brûleront sur la Plaza San Pablo. Ils choisiront ce qui sera le plus utile pour eux.
Il a serré les poings tout en les élevant devant son visage.
— Je suis entre leurs mains, a-t-il dit. Qu’est-ce que je suis pour eux ? Ils m’écraseront quand ils le voudront.
Je ne lui ai pas répondu.
J’avais le sentiment, moi aussi, d’être épié.
Lorsque je quittais le Palacio Sarmiento pour me rendre Plaza San Pablo, au Palacio Real, afin d’y retrouver Sarmiento, je voyais des silhouettes se détacher de la façade et me suivre, à quelques pas, sans même chercher à se dissimuler.
Je les retrouvais à la sortie du Palacio Real. Elles entraient derrière moi au Colegio Santa Cruz ou au Colegio San Gregorio, me suivant dans les bibliothèques. J’étais sûr qu’elles relevaient les titres des livres que je consultais.
Un jour, on m’accuserait peut-être d’avoir lu saint Augustin.
Je rapportais ces faits à Sarmiento. Il les écoutait distraitement. Il m’interrompait, me parlait sans cesse de l’arrivée prochaine de la jeune reine française que Philippe II n’avait pas encore rencontrée.
Élisabeth de Valois s’était mise en route avec ses suivantes, sa mère Catherine, des chevaliers français, mais, dès qu’elle franchirait le col de Roncevaux, elle serait sous la garde des seigneurs espagnols. Elle ne serait plus la fille du roi de France, mais la reine d’Espagne. Et le cardinal Mendoza lui réciterait le psaume 45 : « Écoute, ma fille. Regarde et prête-moi l’oreille. Oublie ton peuple et la demeure de ton père : alors le roi convoitera ta beauté. »
Sarmiento ajoutait :
— Le roi est impatient. Mais Élisabeth n’est pas encore femme. Il ne peut la forcer.
Il riait :
— Le taureau espagnol va devoir attendre ! Mais il s’ébroue ailleurs…
J’avais vu le souverain avec Efrazia de Guzmán.
Je l’avais vu faire sa cour à Anna de Mendoza délia Cerda, princesse d’Eboli, revenue avec lui des Pays-Bas où son mari Ruy Gomez était resté sur ordre du souverain. Et l’on jasait sur les amours de Philippe et de la jeune princesse borgne au bandeau noir.
— Bientôt on ne comptera plus les bâtards d’Espagne ! avait ricané Sarmiento. Le fils va faire mieux que le père, le roi que l’empereur !
Sarmiento m’avait conté qu’avant sa mort Charles Quint avait souhaité rencontrer ce fils qu’il avait eu d’une Flamande. Une putain italienne m’en avait naguère parlé, est-ce que je me souvenais ?
Sarmiento m’avait défié du regard comme s’il voulait me montrer par là qu’il n’ignorait rien du sort final de Mariana Massi.
— Philippe II a reconnu son frère, avait poursuivi Sarmiento après un instant de silence. Il va présenter don Juan à la cour.
J’ai imaginé les courtisans s’inclinant pour saluer ce fils d’un empereur et d’une lavandière flamande aux mœurs dissolues.
Et l’on ferait mine de ne pas comprendre pourquoi Efrazia Guzmán, dont la taille avait forci, épousait un prince italien que le roi honorait et récompensait d’une pension.
Était-ce donc cela, l’Espagne du Roi Catholique ? Celle du mensonge, de la débauche et de l’Inquisition ?
Sarmiento m’a pris le bras.
J’avais tort de m’inquiéter, m’a-t-il dit.
— Le grand inquisiteur est un archevêque qui aime l’or et le pouvoir. Il ne se dressera jamais contre le roi. Il a arraché à la régente Juana tout ce qu’il a pu. Maintenant, il sait qu’il doit se tenir coi. Il digère comme un fauve qui a englouti trop vite ses proies. Il ne ressortira ses griffes que si Philippe II lui en donne l’ordre.
Je devais comprendre que l’Inquisition était une arme contre les hérétiques, donc contre les infidèles. Ceux
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