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Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Toledo avait dû céder et laisser neuf mille hommes quitter Messine pour venir combattre à nos côtés, sauver Malte, la garder au Christ.
    À l’aube ils ont attaqué les infidèles qui ont pris la fuite.
    Nous étions vainqueurs.
    Le temps des averses d’automne commençait. Le magistrale soufflait, glacial.
    Nous avons prié, agenouillés au milieu des ruines et des tombes.
    J’ai levé la tête vers le ciel bas.
    La pluie a lavé mon visage et noyé mes larmes.

36.
    Je marche au sommet de ces hautes falaises que la mer sape à grands coups sourds.
    Je m’approche de l’à-pic. Je scrute ces rochers, ces débris de promontoire que la mer ensevelit puis laisse réapparaître au gré de la houle, des bourrasques du magistrale qui souffle de l’ouest, humide et glacé.
    Je veux voir si d’autres corps mutilés, déchiquetés, défigurés, gonflés, ont été rejetés par le ressac.
    Car chaque jour, depuis que la tempête a commencé, les vagues déposent à nos pieds ces restes d’hommes.
    Quelques-uns portent encore une botte, un ceinturon ; l’un d’eux avait même, comme incrusté dans la chair de son visage dont la mer et les requins avaient dévoré les traits, une partie de son casque.
    Ceux-là, on peut savoir s’ils sont janissaires ou chevaliers.
    Mais la plupart de ceux qui sont venus s’accrocher aux rochers, s’agripper aux galets de la grève, se recroqueviller dans les anfractuosités de la jetée, sont nus et rien ne permet de les reconnaître. Leur peau a peut-être été blanche ou mate, leurs cheveux ont peut-être été noirs ou blonds, mais la mer a effacé ce qui les opposait.
    Comment savoir si ces morceaux d’hommes sont ceux de chrétiens ou d’infidèles ?
    Je ne me lasse pas de les repérer, et, en dépit du vent, je me penche comme si je voulais être le premier à découvrir un nouveau corps.
    Cela s’est produit plusieurs fois déjà et j’ai eu l’impression que ces cadavres me montraient le fond de l’abîme dans lequel venait se fracasser toute vie.
    Celle d’un infidèle comme celle d’un chrétien, d’un catholique comme d’un hérétique.
    Et cette pensée était un fer rouge plongé en moi, de ma tête à mon ventre, un épieu de feu qui me faisait douter de Vous, Seigneur.
    Pourquoi cette cruauté entre les hommes, si l’infidèle et le chrétien n’étaient plus que ces baudruches lacérées avec lesquelles jouait la mer ?
    J’aurais voulu, Seigneur, partager mon désespoir.
    Mais à qui le confier ?
    Je suis entré à plusieurs reprises dans l’église de Bourg que nous appelions désormais Sainte-Marie-de-la-Victoire. Je voulais m’agenouiller dans l’obscurité du confessionnal, devant un prêtre. Mais, à chaque fois que j’ai parcouru la nef, on y célébrait la messe pour un chevalier mort des suites de ses blessures. Son cercueil était placé devant l’autel. Le Grand Maître de l’ordre, avec sa chasuble rouge marquée de la croix blanche, était agenouillé, entouré des chevaliers de son conseil.
    J’ai eu honte de mes doutes !
    Les corps pouvaient se mêler dans la mort, chairs putréfiées, mais les âmes étaient pesées par Dieu selon leurs mérites et rien ne pouvait confondre celles-ci avec celles-là.
    Je priais. Mes doutes s’effaçaient. La mer pouvait bien vomir des corps par morceaux, les âmes les avaient depuis longtemps quittés.
    Je sortais de Sainte-Marie-de-la-Victoire apaisé.
    Dans les ruelles de Bourg, les hommes s’affairaient à relever les murs des maisons que les boulets des canons de Mustapha et Dragut avaient fracassés. On bâtissait de nouveaux remparts. On reconstruisait le fort Saint-Elme presque entièrement détruit.
    Souvent, en soulevant les blocs effondrés, on découvrait des corps eux aussi rongés.
    Lorsque leur état ne permettait pas de les reconnaître, on les enterrait la nuit, loin des sépultures honorées, comme s’il s’était agi de pestiférés.
    Sachant cela, j’étais à nouveau saisi par le désespoir.
    J’ai souvent imploré Votre aide, Seigneur, en ces jours qui étaient pourtant ceux de notre victoire sur l’infidèle.
    Mais je ne pouvais me confier qu’à Vous.
    Car j’errais sur l’île, chevauchant d’une tour de guet à l’autre, seul.
    Enguerrand de Mons avait le premier quitté Malte, chargé par le Grand Maître de l’ordre de le représenter auprès de la reine mère Catherine de Médicis et du roi Charles IX. Je l’avais accompagné jusqu’à la

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