Paris Ma Bonne Ville
qu’il y a péril à le
laisser ès rues divaguer, le peuple parisien tenant les huguenots en si âpre et
stridente détestation.
— Giacomi,
dis-je, ce que vous opinez là, je me le répète à moi-même depuis que les
processionnaires de Notre-Dame de la Carole l’ont failli écharper. Cependant,
je balance encore. Mon père me l’a confié à ma garde, et j’hésite à l’envoyer
si loin de mon œil à Montfort.
— Mais
votre œil, dit Giacomi, ne le suivra pas davantage céans. Vous vaquez en Paris
à tant d’affaires diverses, dit-il avec un sourire, que pendant ce temps, notre
pauvre Samson, tout à plein désoccupé, pleure ses lointains bocaux. Les heures
vides, comme vous le savez, pèsent plus lourd que les pleines.
— Mais,
vous-même, Giacomi...
— Ha !
dit-il. Moi ! Il n’en va plus de même pour moi ! Je vais de ce jour
labourer de mon état comme aide du sergent Rabastens duquel je me suis fait
connaître tandis que vous parliez à M. de Nançay.
— Quoi !
Giacomi ! criai-je, aide de Rabastens ! Vous, un maître ! Vous
une personne de qualité !
— Je n’y
ai pas vergogne, dit Giacomi avec un sourire, Rabastens étant homme de bien, et
je ne peux vivre sans tirer, l’exercice de mon art m’étant aussi nécessaire que
le pain quotidien. Et à vrai dire, la vie étant si chère en cette Paris que
voilà, je trouverais aussi de la commodité à gagner quelques sols, ce qui
soulagera d’autant l’escarcelle de mes frères bien-aimés.
— Ha !
Giacomi ! dis-je, en lui donnant une forte brassée et sur les joues trois
au quatre poutounes qu’il me rendit sans chicheté, tout de moi est à toi, tu le
sais.
— Et tout
de moi à toi, dit Giacomi gravement, y compris mon labour et les quelques
pécunes que j’y pourrais gagner. Que ne peux-je en huit jours faire à ma
pratique suer assez d’or pour te façonner le pourpoint qu’il te faut.
— Ha !
Giacomi ! dis-je, en poussant un soupir à faire tourner un moulin, qui
m’eût dit, quand je fis faire celui-là que je porte en Montpellier avec les
écus de M me de Joyeuse et que je m’en fus le lui montrer, me
paonnant en ma gloire, qu’il me serait un jour à si grande opprobre en
Paris ! Et cette reprisurette, comme dit Recroche ! Tudieu ! Ne
suis-je pas autre chose que ma vêture ? Ma vaillance et ma science
comptent-elles pour rien ? Ha ! Giacomi ! Le monde et ses us me ragoûtent
si peu que si j’étais papiste, je prendrais le froc du moine !
— L’abito
non fa il monaco [34] ! cria Giacomi en riant. En outre, il y a froc et froc et le vôtre, il vous le
faudrait de la plus fine bure ! Vous n’auriez cesse que d’être abbé !
À quoi, nous
rîmes tous deux. Et sur la promesse que je lui fis de l’aller voir en ses
assauts au Louvre dans l’après-midi, il me quitta, et prenant mon écritoire et
mon papier, je descendis à l’atelier, y étant là sur une grande table près des
fenêtres où je m’installai, Baragran et Alizon interrompant leurs coutumières
clabauderies dès qu’ils me virent tailler ma plume.
— Compagnons,
dis-je, vous pouvez jaser. Je n’en écrirai pas plus mal.
— Ha !
Monsieur ! Je n’oserais ! dit Alizon. Quel grand tournement de cerveau
se doit trouver à mettre noir sur blanc ! Écrire ne peux, mais lire assez,
ajouta-t-elle non sans redresser la crête, et ne sais-je pas la grande peine où
je suis pour déchiffrer même une petite lettre ? C’est dit, Monsieur, le
bec je n’ouvrirai, tant que vous serez à vos écritures.
— Moi non
plus, dit Baragran.
— Moi non
plus, dit Coquillon, me baillant un grand sourire de sa large bouche.
Quoi dit,
l’apprenti se remit à son dur labour, lequel consistait à agacer le chat avec
une boule de chiffon qu’il promenait qui cy qui là au bout d’un fil.
— La
grand merci à vous trois, dis-je.
Mais des
trois, deux seulement tinrent parole. Car lorsque je fus parvenu au bout de la
page, Alizon dit :
— Que
voilà une longue lettre, Monsieur ! L’écrivez-vous à une dame ?
— Nenni.
À mon père, Alizon.
— Et à
Madame votre mère ?
— Point.
Elle est morte en couches.
— Et
voilà comme nous mourrons toutes, nous autres femmes, dit Alizon avec un
soupir, et sans même aller au bout de notre naturelle vie.
— Paix
là, Alizon, dit Baragran, ne vois-tu pas que tu brouillonnes notre
gentilhomme ?
— Paix
toi-même, gros sottard ! dit Alizon redressée et
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