Paris Ma Bonne Ville
s’était
ensommeillé et lui paraissait bien allant et que, de ce côtel, il avait lieu
d’être content. Cependant, la paupière à demi baissée, et son œil vif et fin
coulant un regard parallèlement à son long nez, comme s’il envisageait le sol,
il parut se réfléchir quelque peu, l’air point du tout léger, gaussant et
insoucieux mais au rebours, fort grave. Sortant enfin de son silence et de son
immobilité, il commanda à six des Suisses qui l’accompagnaient de demeurer la
nuit durant dedans le logis de l’Amiral, leur ordonnant de verrouiller bien la
porte, de remparer les contrevents et de faire bonne et vigilante garde. Après
quoi, reprenant son ton enjoué, il souhaita le bonsoir à Guerchy, à moi, et à
La Bonne (le majordome de l’Amiral) et s’en fut avec son escorte diminuée du
demi, laissant avec nous, outre quatre autres de moindre taille, Fröhlich et
Cadieu, dont les terribles carrures semblèrent tout soudain emplir le petit
logis. Mais que pouvaient pourtant ces géants avec leur braquemart et leur
pertuisane contre quarante arquebusiers ?
Le majordome
La Bonne, lequel ne faisait point mentir son nom, étant un bénin bonhomme à
ronde bedondaine, l’œil benoîtement suave et la voix douce comme un ruisseau
d’avril, (au demeurant grand homme de bien, à ce qu’il me sembla) accommoda nos
Suisses dans la salle basse, et les ayant fort civilement garnis d’un flacon de
vin, d’une croûte de pain et de fromage, se retira avec moi dans la chambre de
l’Amiral. Miroul, ses yeux vairons tant soucieux qu’ils paraissaient noirs l’un
et l’autre, ne me quittant pas plus que mon ombre et la main machinalement
tâtant quand et quand son épée, sa dague et les deux cotels qu’il portait dans
ses chausses pour les lancer. Avec La Bonne et nous, s’encontraient dans la
chambre de l’Amiral, Yolet, son valet, Nicolas Muss, son truchement en langue
allemande, le ministre Merlin, l’enseigne Cornaton et M me de
Téligny, mais l’Amiral, se réveillant, pria qu’on voulût bien accompagner sa
fille en son logis de la Grand’Rue Saint-Honoré, ce que firent une dizaine de
gentilshommes qui se trouvaient encore au logis, flanqués de deux laquais qui
portaient des falots, et non sans que la pauvrette revînt par deux fois prendre
congé de Coligny, son bel œil bleu noyé de larmelettes, et sa mignarde face par
le chagrin chaffourrée, l’Amiral la confortant à répéter qu’il allait fort
bien, et elle ne se décidant pas à se désemparer de son père, pour ce que tout
soudain en son féminin pressentiment elle craignait pour sa vie.
La Bonne
éteignit toutes les chandelles hormis une seule, et chacun s’accommoda pour
passer la nuit sur une escabelle, laissant l’unique fauteuil au ministre
Merlin, lequel était vieil et las, personne ne songeant à dormir, encore que
régnât pour lors un profond silence et dans le logis (ce qui n’était pas
merveille) mais aussi dans l’immense ville en armes qui, de toutes parts, nous
entourait, nous tenant enserrés dans sa nasse, les portes de la grande muraille
closes et les ponts barrés par les chaînes.
Ha !
lecteur ! Ce n’était point tant la peur de mourir qui me poignait en cette
funèbre veillée – et funèbre elle l’était déjà avant même que le premier
huguenot fût massacré – que le désespoir de nous sentir tant haïs par le
grand nombre de ces bonnes gens, lesquels étaient membres de la même nation que
nous, sujets du même souverain, soumis comme nous à la même humaine condition,
ébaudis des mêmes liesses, pâtissant des mêmes intempéries, mêmement effrayés
des assauts de la vieillesse sur nos corps périssables, nos frères enfin, comme
nous sommes les leurs à n’en point douter, et non point « ce rameau pourri
de l’arbre France » qu’il fallait à force forcée retrancher, comme Jézabel
disait au même instant au Louvre à son fils pour arracher à ses doutances le
décret de notre mort. – Oui, dis-je et dis-je à ce jour encore, en tous
points leurs frères, et non ces êtres que les prêtres papistes en leurs prêches
insufférablement soustrayaient à la commune humanité, nous ravalant à l’état de
« chiens », de « serpents » et de « vermine » que
Dieu même commandait d’écraser.
Ainsi songeant
en le silence de la nuit, l’œil à demi déclos et fixé sur la chandelle dont la
jaunâtre flamme paraissait vouloir s’éteindre sans s’éteindre
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