Petite histoire de l’Afrique
l’incapacité de lui donner : ils ne purent rompre avec l’extraversion économique qui était au fondement du projet colonial. Cette contradiction ramena le peuple vers un imaginaire identitaire de compensation qui a pu donner lieu au pire (comme lors du génocide rwandais).
Le tribalisme fit des ravages, le régime présidentiel aussi. Les peuples se jetèrent, au nom de l’État-nation à construire, entre les mains de dictateurs qui incarnaient le contraire de l’idée démocratique qu’ils étaient supposés importer d’Occident. Devenus chefs d’État, ces anciens parlementaires n’eurent qu’une idée en tête : accélérer la fabrication de la nation de façon artificielle. D’où le parti unique, le syndicat unique (Senghor, l’un des premiers à le faire, n’y mit fin qu’en 1975 et 1976 au Sénégal) : c’était à l’État de construire la nation ; cela revenait donc à nier la seconde au profit du premier. Les anciens militants politiques se firent despotes implacables : Sékou Touré en Guinée, Léon Mba au Gabon, Fulbert Youlou au Congo, et bien d’autres. Les putschs (le premier, en 1963, fut l’œuvre d’Eyadema au Togo) accélérèrent le passage à la dictature, le divorce devintévident entre l’État et la nation. Autrement dit, la première période de l’indépendance, que Nkrumah qualifia de « néocoloniale », fut une phase de régression qui entraîna toutes sortes de dérives totalitaires, civiles ou militaires, libérales ou « marxistes-léninistes ». De plus, ces situations étaient sous-tendues par des accords militaires plus ou moins secrets avec les anciennes métropoles qui, selon les cas, encourageaient ou réprimaient les putschs.
— Les années 1968-1980
Les exigences des jeunes Africains, dont le nombre était en rapide augmentation, se précisèrent au cours de cette période. Ils réclamaient la révision d’accords de coopération léonins et l’africanisation des cadres, rendue possible par les énormes progrès de l’éducation et l’explosion urbaine. Ces revendications furent d’abord rejetées : le président sénégalais Senghor exerça une répression violente contre les étudiants de l’université de Dakar en 1968, et à nouveau en 1973 ; le président Houphouët-Boigny fit de même en Côte-d’Ivoire jusqu’en 1992, et ce fut le cas dans bien d’autres pays africains. Durant ces années, du côté français, les institutions n’avaient le plus souvent subi qu’un habillage de façade masquant leur continuité effective avec la colonisation. Ainsi, le Fonds d’aide et de coopération (FAC), géré par la Caisse centrale de coopération économique (CCCE, devenue depuis lors l’Agence économique) et suivi de près par le ministère français de la Coopération (où l’on continua longtemps de parler des « pays du champ » ouencore du « pré carré » français), avait pris la suite quasi directe du FIDES et de la CCFOM naguère contrôlés par le ministère des Colonies : (d’où la Françafrique).
La longue récession inaugurée par les chocs pétroliers (de 1973 et 1979) rendit la progression difficile et heurtée. Il n’empêche : sans que ce fût immédiatement visible, et malgré la répression sévère de régimes dictatoriaux implacables et durables (Mobutu au Zaïre, Eyadema au Togo, etc.), le travail souterrain de démocratisation progressait dans la société civile.
— Depuis 1989
Le tournant décisif est intervenu avec la chute du mur de Berlin, qui libéra au moins en partie les forces sociales et politiques intérieures jusqu’alors violemment réprimées (explosion des « conférences nationales », dont la première se tint au Bénin dès février 1990). La guerre froide prenant fin, les grandes puissances ne ressentaient plus le même besoin de se reposer sur des « pouvoirs stables » garantis par des potentats aux ordres. Ce n’est sans doute pas un hasard si Nelson Mandela fut libéré au même moment (février 1990). Depuis lors, les transformations n’ont plus cessé, et la genèse d’une société civile et politique est en marche 4 . Aujourd’hui, en moyenne, la population urbaine dépasse (parfois de beaucoup, comme au Congo-Brazzaville, au Gabon ou en Afrique du Sud) la populationrurale, mais les « remèdes » économiques imposés par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1990 — les PAS (politiques d’ajustement structurel) — eurent des
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