Petite histoire de l’Afrique
difficultés, ne sont pas remis en question, même au Congo-Kinshasa (RDC) ou en Côte-d’Ivoire. En effet, durant la colonisation, au moins trois générations vécurent dans les mêmes frontières, avec les mêmes lois, le même régime politique (aussi autocratique fût-il) et la même langue de colonisation. Le cas est clair pour l’Afrique du Sud, où les oppositions raciales furent pourtant encore plus marquées qu’ailleurs : l’unité de la nation — en dépit de pulsions de sécession très minoritaires aussi bien chez les Noirs (Zoulous de l’Intakha) que chez les Blancs (ultranationalistes) —, en construction depuis plus d’un siècle, ne fut jamais remise en question, ni d’un côté ni de l’autre. L’Afrique du Sud s’est en effet construite non pas sur une « identité ethnique » — la complexité du peuplement est au contraire très grande dans le pays et résulte, chez les Blancs comme chez les Noirs, de migrations et de brassages de populations anciens et accentués tout au long du XIX e siècle — mais sur un projet intégré reposant sur un système cohérent d’économie libérale, mis en place depuis longtemps sous la forme d’une activité minière et industrielle. Ce projet, l’évolution politique actuelle entend le poursuivre, mais en le sous-tendant désormais d’une volonté politique égalitaire entre Sud-Africains noirs et blancs. Quelles que soient les énormes difficultés du processus, force est de constater qu’il est en marche.
C’est lorsque le projet économique débouche sur une impasse — ce qui est un cas fréquent aujourd’hui en Afrique — que les peuples se réfugient dans la construction identitaire et les haines ethniques. L’évolution actuelle en Afrique présente des points similaires àl’histoire de l’Europe centrale des deux derniers siècles, caractérisée par l’émergence, les revendications et les heurts de ce que les observateurs ont appelé l’« histoire des nationalités », que l’on dénomme aujourd’hui improprement en Afrique des « ethnies ». L’exacerbation des nationalismes régionaux n’est que le résultat de l’échec répété d’expériences politiques nationales.
Les mouvements de décolonisation qui aboutirent finalement à l’indépendance commencèrent avec la colonisation, parfois même avant (les premiers nationalistes « ghanéens » apparurent dans la seconde moitié du XIX e siècle). La conquête coloniale entraîna un peu partout des violences paysannes, locales ou régionales. Progressivement, entre les deux guerres, ceux que l’on appelait alors les « élites » revendiquèrent le droit de participer à l’exercice du pouvoir. Malgré la surveillance policière, l’anticolonialisme s’exprima surtout au sein de groupes militants qui s’organisèrent en métropole, car la censure était trop répressive sur place. Les revendications d’autonomie, voire d’indépendance, se sont exprimées dans le cadre des territoires coloniaux tels qu’ils avaient été définis par les Européens. Les États à venir allaient reconnaître le même cadre. Certains cas sont étonnants : l’insurrection camerounaise des années 1950 (sous la direction du syndicaliste Ruben Um Nyobe) exigeait d’abord la réunification des deux Cameroun, or cette revendication se référait à la guerre de 1914-1918, lorsque la colonie allemande créée à la fin du XIX e siècle avait été partagée entre les colonisateurs français et britannique. Même constat pour la Haute-Volta (le Burkina Faso aujourd’hui) : créée en 1919 seulement et supprimée en 1933 pour être partagée entre Niger, Soudan (Mali) et Côte-d’Ivoire, elle fut reconstituée en 1947 à la demande expresse des hommes politique voltaïques !
La Première Guerre mondiale, qui fit découvrir le monde aux soldats recrutés en Afrique (près de 200 000 hommes en AOF et autant au Maghreb), et la Seconde Guerre mondiale (avec la charte de l’Atlantique, en 1941, et celle des Nations unies, en 1945, qui affirmaient solennellement le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ») constituèrent des tournants essentiels. Dès 1947, le sort en était jeté : les Britanniques accordèrent à l’Inde (et donc au Pakistan) son indépendance, même si, il faut le reconnaître, ils n’envisageaient de faire de même en « Afrique noire » que dans un avenir assez lointain. Ce fut ensuite le tour de l’Indonésie,
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