Piège pour Catherine
petit flacon qu'elle approcha des lèvres du mourant. C'était un mélange de vin de Chypre où avaient macéré des aromates et d'une faible partie de la fameuse « eau ardente de maître Arnaud », un cordial quasi miraculeux dont Jacques Cœur l'avait munie parmi bien d'autres choses.
La liqueur chaleureuse s'insinua entre les lèvres du blessé. Un frisson le secoua et il ouvrit les yeux. Son regard brun semblait noyé de brume. Il tourna un instant, comme égaré, puis se posa sur le visage de la jeune femme et s'agrandit. Ses mains battirent l'air comme s'il cherchait quelque chose où s'accrocher, puis ses lèvres s'agitèrent, mais sans résultat.
— On dirait qu'il veut parler ! souffla Bérenger.
Catherine lui donna encore une goutte de cordial.
Alors le blessé balbutia :
— Fuyez... Le village... Ne pas.... y aller ! Les... les É... corcheurs
! — Encore, gronda Gauthier. Qui est-ce, cette fois ?
L'homme tourna vers lui son regard plein d'ombre.
— Je... ne sais pas ! Un... inconnu ! On l'appelle... capitaine... La Foudre... Un... lieutenant du... Damoiseau de Commercy... Allez...
vous-en ! Vite... Vite !
Il eut un hoquet, se renversa en arrière dans un dernier spasme, tandis qu'un flot de sang jaillissait de sa bouche, et il ne bougea plus.
— Il est mort, fit Bérenger d'une voix blanche en laissant reposer à terre la tête hirsute dont Catherine, pieusement, fermait les yeux.
Gauthier déjà s'était relevé et considérait le grand cadavre avec un mélange de colère et de pitié.
— La Foudre ! grogna-t-il. Le Damoiseau de Commercy ! Qui sont encore ces bandits ?
La Foudre, je ne sais pas, dit Catherine. Mais je peux vous dire qui est le Damoiseau. Il est beau comme une femme, noble comme un prince, vaillant comme César, jeune... comme vous Gauthier car il doit avoir votre âge, et cruel comme un bourreau mongol ! Il s'appelle Robert de Sarrebruck, comte de Commercy, un archange aux yeux de jouvencelle et à l'âme de démon. Par lui vous pouvez juger de son lieutenant ! D'ailleurs, regardez... écoutez...
Il faisait nuit, maintenant, sous les arbres et, dans les profondeurs de la forêt, des hurlements éclataient, tandis que les premières lueurs de l'incendie rougeoyaient au coude de la rivière.
— Nous ne pourrons pas passer, décida Gauthier entraînant Catherine vers l'endroit où elle avait attaché les chevaux. Il faut cacher les bêtes, nous cacher nous- mêmes, attendre. Quand ils auront tout brûlé... ils s'en iront sans doute. Le tout est de savoir si ce village est important. En avez-vous une idée, Dame Catherine ?
La jeune femme fronça les sourcils, rassemblant ses souvenirs.
— Ce doit être Coupray... ou Montribourg.
— De gros villages ?
— Encore assez ! Deux cents âmes, peut-être.
— Hum ! Ça peut être long. De toute façon, il faut attendre, rien que pour voir de quel côté se dirigera l'incendie, car il n'y a pas que le village. La forêt elle aussi brûle...
Les chevaux dissimulés dans un fourré, ils s'étaient eux-mêmes cachés dans le taillis voisin et depuis ils attendaient, le cœur serré, l'âme au supplice, que ce village ait fini de mourir...
L'orage se rapprochait mais n'éclatait pas vraiment. De grands éclairs livides balayaient le ciel qui grondait presque sans interruption, mais il ne tombait pas une seule goutte d'eau.
— Si seulement il pleuvait ! marmonna Gauthier. On aurait une chance de voir s'éteindre ce feu. Le vent le pousse juste dans la mauvaise direction. Il nous barre déjà la route qui nous permettrait de contourner le village. De l'autre côté, il y a la rivière et elle semble rapide, dangereuse.
— Mieux vaut risquer la noyade que tomber aux mains de ces gens-là, protesta Bérenger.
Catherine ne disait rien. A travers les arbres, elle regardait s'agiter des lueurs inquiétantes, tandis que les cris et les jurons se rapprochaient.
— Quelqu'un a dû s'enfuir, souffla-t-elle. Écoutez ! On le poursuit... Mon Dieu ! Ils viennent par ici !...
— A cheval ! décida Gauthier. Nous ne pouvons plus rester là et le choix est tout fait : il faut traverser !
— Cela ne sera pas facile. On voit la berge de l'autre côté. Elle est presque abrupte.
— Nous traverserons en diagonale. Regardez là-bas, Un peu avant le coude de la rivière, il y a une petite grève.
En effet, au ras de l'eau éclairée par les reflets des brasiers, un mince croissant pâle se dessinait au bas d'une pente
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