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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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Arrivera ce qui
devra arriver.
    Simplement, de visite en visite, vous surveillez la
progression du temps sur la petite dame empressée. Tiendra-t-elle longtemps à
ce rythme ? la mise en plis demeure, impeccable, mais ses cheveux sont
immaculés maintenant, le dos se voûte, même si les petits pas continuent de
marteler à vive allure le couloir qui mène à la cour. Curieusement, en dépit de
ces signes évidents de vieillissement, la fatigue ne semble pas avoir de prise
sur elle. Sans doute la dissimule-t-elle. Mais vous vous dites qu’elle a en elle
ce fabuleux fond génétique qui a produit de quasi-centenaires. Peut-être est-ce
le secret de son prodigieux ressort. Vous vous rangez à l’avis de votre jeune
sœur qui prophétise que votre mère mourra comme Molière, en scène, c’est-à-dire
qu’on la retrouvera un matin enlaçant sa caisse, ou étendue parmi les fleurs
artificielles de la Toussaint. Nous tombons d’accord. Pour elle, ce serait la
meilleure fin. Et pour nous un, oui, heureux dénouement à cette pièce dont nous
entamons avec inquiétude l’épilogue.

 
    Nous en avons pris notre parti. D’une année sur l’autre elle
nous refera le même coup, renvoyant aux calendes grecques la remise des clés de
son magasin. Si le cœur lui en dit, s’il tient, elle franchira le troisième
millénaire sur ses petits talons. Inutile de lui faire la leçon, on la connaît,
notre mouette rieuse : elle baissera la tête comme une pseudo-pénitente,
marmonnera, et vous pourrez toujours causer. La décision d’arrêter ne viendra
pas d’elle, on en est sûr, à présent, pas la peine d’y compter, alors,
qu’est-ce qu’on fait ?
    Il faut croire qu’on dut s’en alarmer en plus ou moins haut
lieu, que ça énervait, ce mépris des lois du temps, cette superbe face à la
vieillesse, et qu’un zélé se mit en tête d’en finir avec l’obstinée. On imagine
une sorte de réunion de Wannzee à objectif unique où l’on débattit du sort de
la récalcitrante. Les uns s’enflammant : puisqu’elle ne veut pas sortir de
son magasin, il n’y a qu’à l’en déloger, les autres se chargeant de calmer le
jeu : ne nous emballons pas, n’oublions pas qu’il s’agit d’une vieille
dame, que nous lui devons le respect. Et elle ? est-ce qu’elle nous
respecte, toujours à nous narguer derrière son comptoir ? Nous en
connaissons qui à son âge ne savent pas quoi faire de leurs journées depuis
plus de dix ans, trouvez-vous ça juste ? Abolissons les privilèges. De
l’ennui pour tout le monde. Sans doute, et c’était bien la raison de cette
réunion, mais jusqu’à présent on n’avait rien à lui reprocher, elle n’avait
enfreint aucune loi ; ni, que l’on sache, tué personne. Voilà qui était
vite dit : et son mari, mort mystérieusement à quarante et un ans, un
lendemain de Noël ? et pas un homme chétif dont on craint qu’il ne passera
pas l’hiver, une force, un chef. Ceux qui l’ont connu en parlent encore avec
admiration. Il est inoubliable, cet homme, disent-ils. Que l’on m’explique
comment l’on meurt à cet âge, sans crier gare ? D’autant qu’elle aurait
aussi perdu un enfant. Du choléra. Du choléra, au vingtième siècle ?
Pourquoi pas du mal des ardents ? Exhumons, perquisitionnons, plaçons les
scellés et le tour est joué.
    Le tour n’était pas joué. Il y avait prescription, selon un
juriste. Plutôt demander à l’Indien d’écraser son bombardier sur la maison, et
qu’on n’en parle plus. Ce qui n’allait pas cependant sans poser un autre
problème : la maison étant située près de l’église, l’explosion ne
manquerait pas de souffler l’ensemble des vitraux, avec le risque cette fois
qu’on nous remplace la Cène par un pow-wow et la Pentecôte par la Danse des
Esprits. Alors quoi ? est-ce à dire que nous allons en reprendre pour
mille ans ? devons-nous nous résigner ? capituler devant cette
incarnation du mouvement perpétuel ? car, si l’on n’agit pas
immédiatement, elle sera là encore pour recevoir la liste de mariage de Louis
Trente-huit avec la reine des nuits du Mexique. Il y aurait bien une solution,
avança prudemment quelqu’un. Oui ? Un siège. Un siège, vous voulez dire,
comme à Alésia ? On imagine le stratège imperator prenant son temps et,
après avoir lancé un jet de fumée de sa cigarette vers le plafond, opinant
doctement du chef : comme à Alésia.
    C’est ainsi qu’un matin frais

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