Prophétie
rire.
« Qu’y a-t-il de si drôle ?
— Cet imbécile de Benson qui se vante de la façon dont il est devenu doyen du lieu. Regardez ça ! Il est le chef d’un tas de décombres !
— Grâce à la faveur du roi, il dirige toujours l’église de l’abbaye de Westminster. »
Il contempla l’énorme église. « Ainsi donc, Henri veut être enterré ici, dit-il à voix basse.
— Le plus tôt sera le mieux », conclus-je, à voix encore plus basse.
La maison de Harsnet se trouvait dans le haut de Westminster, dans une rangée de belles demeures anciennes de King Street, non loin du corps de garde du palais de Whitehall, sur lequel, avec le ciel bleu en arrière-plan, flottaient les oriflammes, le soleil couchant se reflétant dans les hautes fenêtres. Je m’arrêtai devant la porte d’entrée de la résidence du coroner, ornée d’un étincelant heurtoir en forme de tête de lion. Comment allait se passer le dîner avec sa famille ? me demandais-je. Mais j’étais encore plus curieux d’apprendre ce que Lockley lui avait révélé.
Je frappai à la porte et un valet me fit entrer dans une vaste salle. Une vaisselle d’or scintillait sur la haute desserte en bois et une fresque murale représentant le voyage des mages à Bethléem recouvrait tout un mur, les chameaux et les caravanes peints en douces et agréables couleurs.
Harsnet m’attendait avec sa femme. Vêtu d’un justaucorps de velours noir, sa barbe poivre et sel récemment taillée contrastant avec les cheveux brun foncé, le coroner avait l’air soigné et fort pimpant, malgré sa mine soucieuse. Petite femme blonde au visage rond, à l’œil vif et curieux, son épouse portait une robe marron de bonne qualité. Elle se leva de la pile de coussins où elle était assise et me fit la révérence.
« Elizabeth, dit Harsnet, permets-moi de te présenter le sergent royal Matthew Shardlake, qui collabore avec moi pour une mission quelque peu… ardue. Après le repas, nous devrons avoir une petite discussion », ajouta-t-il en me lançant un regard d’avertissement, qui me fit comprendre que sa femme n’était pas au courant des meurtres. Je devrais donc patienter pour avoir des nouvelles de Lockley.
« Je ne vois guère Gregory en ce moment, déclara Elizabeth d’une voix flûtée, et quand je le vois, il a l’air épuisé. J’espère, monsieur, que vous n’êtes pas la cause de ce surmenage.
— Absolument pas, madame. Je ne suis que son camarade de peine.
— Gregory dit beaucoup de bien de vous. » Je regardai Harsnet, un peu surpris, car je pensais qu’il ne tenait guère en haute estime quelqu’un ne possédant pas son rigorisme religieux. Il eut un sourire gêné et, une fois de plus, je compris qu’il était timide.
« Je ne vous ai pas suffisamment remercié d’avoir envoyé un garde pour protéger ma maison, dis-je. C’est un brave type et sa présence rassure les femmes. »
Harsnet parut satisfait du compliment. « Je savais qu’il serait apprécié. Il est membre de mon église. »
La maîtresse de maison m’invita à m’asseoir à une table couverte d’une nappe brodée aux éclatantes couleurs. « J’espère que vous aimez le gigot, monsieur, dit-elle.
— C’est l’un de mes mets préférés », répondis-je sincèrement.
Elle agita une clochette et les serviteurs apportèrent un grand plat de viande ainsi que plusieurs récipients pleins de légumes. Je me rendis soudain compte que c’était la première fois que je dînais en ville depuis la soirée chez Roger et Dorothy. Samuel ayant dû repartir, Dorothy se trouvait sans doute à nouveau seule. Je décidai d’aller lui rendre visite le lendemain.
La porte s’ouvrit derechef et une soubrette fit entrer quatre enfants, deux garçons et deux filles apparemment âgés de quatre à dix ans, les cheveux bien peignés, les deux cadets déjà en chemise de nuit. « Venez, les enfants, lança Harsnet, saluez messire Shardlake ! » Les enfants s’exécutèrent et se tinrent près de leur père. Les deux garçons inclinèrent le buste à mon adresse et les fillettes me firent la révérence. Harsnet sourit. « Les garçons s’appellent Absalon et Zélé, les filles Rachel et Beulah », me dit Harsnet en souriant. C’étaient tous des prénoms tirés de l’Ancien Testament, sauf Zélé, l’un des noms bizarres que les réformateurs rigoristes donnaient à leurs enfants, tels Craint-Dieu, Persévérance ou Salut.
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