Prophétie
et me fit un triste sourire.
« Voilà des exemples supplémentaires de possession diabolique plutôt que de folie, telle que nous la connaissons. Quoi que dise le Dr Malton, cet ancien moine.
— Peut-être ne parviendra-t-on jamais à expliquer les actes de ce genre d’individu.
— Mais il est clair que la possession est une explication ! s’écria Harsnet en se penchant en avant. Ces actes n’ont de sens qu’en tant que perverse parodie de la vraie religion.
— De la vraie religion ? répétai-je d’un ton calme. Est-ce ainsi que vous décririez l’Apocalypse ?
— Comment la décrire autrement ? » Il ouvrit tout grand les bras. « C’est un livre de la Bible, et la Bible entière constitue le Verbe divin.Elle nous enseigne la manière de vivre et de trouver le salut, nous révèle le commencement du monde et sa fin. Nous ne pouvons pas choisir entre les parties de la Bible à notre guise.
— Beaucoup se sont demandé si l’Apocalypse était vraiment inspirée par Dieu. Depuis les premiers Pères de l’Église jusqu’à Érasme de nos jours.
— Mais les Pères de l’Église l’ont acceptée. Et Érasme est resté papiste. Ce n’est pas un vrai évangéliste. Ce livre fait partie de la Sainte Écriture, et le diable s’est emparé du corps de cet homme pour le faire blasphémer. »
Je restai coi. Harsnet et moi ne serions jamais d’accord à ce sujet. À mon grand étonnement, il sourit. « Je vois que je ne réussirai pas à vous convaincre, reprit-il.
— Je crains que non. Moi non plus je ne parviendrai pas à vous convaincre », dis-je en lui rendant son sourire.
Il me fixa, mais, loin d’être hostile, son regard était plein de compassion. « Je suis désolé que ma femme ait tellement insisté sur les vertus du mariage. À notre époque, les femmes s’expriment librement. Mais elle a raison, Matthew, si je peux vous appeler par votre prénom…
— Bien sûr.
— Je vous ai regardé attentivement toute cette semaine. Quand on travaille avec quelqu’un, on a l’occasion de le jauger. Vous avez de l’intelligence et des principes.
— Vous êtes trop bon.
— Vous étiez un avocat prospère, très proche de Thomas Cromwell à ses débuts. Vous auriez pu être l’un des commissaires nommés pour dissoudre les monastères, me semble-t-il.
— Je n’ai pas voulu de cette mission. Elle exigeait des hommes plus impitoyables que moi.
— Certes. Vous êtes animé de principes moraux. Mais la morale ne doit pas le disputer à la foi, n’est-ce pas ?
— J’ai jadis partagé mon cabinet avec un homme de bien, un homme qui avait embrassé la nouvelle foi. Il a tout quitté pour se faire prédicateur itinérant. Il doit toujours parcourir les routes, je suppose. Je pense souvent à lui. Toutefois, j’ai également connu des hommes de bien qui sont restés fidèles à l’ancienne religion. Et j’ai rencontré des êtres malfaisants dans les deux, ajoutai-je.
— Je pense que vous êtes un homme de peu de foi, ce que la Bible appelle un laodicéen.
— Laodicée… L’une des églises que saint Jean de Patmos a critiquées dans l’Apocalypse. Oui, je manque de zèle », reconnus-je d’un ton froid, rechignant à poursuivre cette discussion. Tout en restant courtois, je refusais de laisser Harsnet chercher à me convertir du hautde ses certitudes. Sa compassion était sincère et je devais travailler avec lui.
« Pardonnez-moi, reprit-il, mais ne pensez-vous pas que l’état de votre dos vous rend amer, rebelle à Dieu ? J’ai vu à quel point vous avez été blessé lorsque le doyen Benson a rappelé la façon dont le roi s’était gaussé de vous à York. Il est triste que ce soit le genre de propos dont certains se souviennent pour vous les jeter à la face. »
Il avait dépassé les bornes. Une bouffée de colère monta soudain en moi. « J’étais bossu à l’époque où j’étais un homme de foi, déclarai-je d’un ton ferme. Si, aujourd’hui, je doute, si je suis un laodicéen, comme vous dites, c’est que depuis dix ans je vois des hommes dans les deux camps qui, n’ayant que la gloire de Dieu à la bouche, harcèlent, persécutent et tuent leurs semblables. C’est au fruit qu’on connaît l’arbre… N’est-ce pas ce que dit la Bible ? Examinez les fruits de la religion durant ces dix dernières années. Notre meurtrier peut s’inspirer de maint exemple de cruauté et de violence.
— Les agents du pape,
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