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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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donner
un autre Célestin V. Ah ! je ne l’ai pas ménagé le Birel ! J’ai
fait de lui un tel éloge, en montrant combien ses vertus admirables le
rendaient impropre à gouverner l’Église, qu’il en est resté tout écrasé. Et je
suis parvenu à faire proclamer Étienne Aubert qui était né assez pauvrement, du
côté de Pompadour, et dont la carrière manquait assez d’éclat pour qu’il pût
rallier tout le monde à son nom.
    On nous assure que le Saint-Esprit
nous éclaire afin de nous faire désigner le meilleur ; en fait, nous
votons le plus souvent pour éloigner le pire.
    Il me déçoit, notre Saint-Père. Il
gémit, il hésite, il décide, il se reprend. Ah ! j’aurais conduit l’Église
d’autre façon ! Et puis, cette idée qu’il a eue d’envoyer le cardinal
Capocci avec moi, comme s’il fallait deux légats, comme si je n’étais point
assez averti pour mener les choses tout seul ! Le résultat ? Nous
nous brouillons dès l’arrivée, parce que je lui montre sa sottise ; il
fait l’offensé, mon Capocci ; il se retire ; et tandis que je cours
de Breteuil à Montbazon, de Montbazon à Poitiers, de Poitiers à Bordeaux, de
Bordeaux à Périgueux, lui, de Paris, il ne fait rien qu’écrire partout pour
brouiller mes négociations. Ah ! j’espère bien ne pas le retrouver à Metz,
chez l’Empereur…
    Périgueux, mon Périgord… Mon Dieu,
est-ce la dernière fois que je les aurais vus ?
    Ma mère tenait pour assuré que je
serais pape. Elle me l’a fait entendre en plus d’une occasion. C’est pour cela
qu’elle me fit prendre la tonsure quand j’avais six ans, et qu’elle obtint de
Clément V, qui lui portait grande et belle amitié, que je fusse aussitôt
inscrit comme escholier papal, et apte à recevoir bénéfices. Quel âge avais-je
quand elle me conduisit à lui ?… « Dame Brunissande, puisse votre fils,
que nous bénissons spécialement, montrer dans l’état que vous lui avez choisi
les vertus qu’on peut attendre de son lignage, et s’élever rapidement vers les
plus hauts offices de notre sainte Église. » Non, guère plus de sept ans.
Il me fit chanoine de Saint-Front ; mon premier camail. Presque cinquante
ans de cela… Ma mère me voyait pape. Était-ce rêve d’ambition maternelle, ou
bien vraiment vision prophétique comme les femmes parfois en ont ? Hélas,
je crois bien que je ne serai point pape.
    Et pourtant… et pourtant, dans mon
ciel de naissance, Jupiter est conjoint au Soleil, en belle culmination, ce qui
est signe de domination et de règne dans la paix. Aucun des autres cardinaux
n’a de si beaux aspects que les miens. Ma configuration était bien meilleure
que celle d’Innocent, le jour de l’élection. Mais voilà… règne dans la paix,
règne dans la paix ; or nous sommes dans la guerre, le trouble et l’orage.
J’ai de trop beaux astres pour les temps où nous sommes. Ceux d’Innocent, qui
disent difficultés, erreurs, revers, convenaient mieux à cette période sombre.
Dieu accorde les hommes avec les moments du monde, et appelle les papes qui
conviennent à ses desseins, tel pour la grandeur et la gloire, tel pour l’ombre
et la chute…
    Si je n’avais été dans l’Église,
comme ma mère l’a voulu, j’aurais été comte de Périgord, puisque mon frère aîné
est mort sans descendance, l’année précisément de mon premier conclave, et que
la couronne, faute que je puisse la ceindre, est passée à mon frère cadet,
Roger-Bernard… Ni pape, ni comte. Allons, il faut accepter la place où la
Providence nous met, et s’efforcer d’y faire de son mieux. Sans doute serai-je
de ces hommes qui ont eu grand rôle et grande figure dans leur siècle, et qui
sont oubliés aussitôt que disparus. La mémoire des peuples est paresseuse ;
elle ne retient que le nom des rois… Votre volonté, Seigneur, votre volonté…
    Et puis, rien ne sert de repenser à
ces choses, que je me suis dites cent fois… C’est d’avoir revu le Périgueux de
mon enfance, et ma chère collégiale Saint-Front, et de m’en éloigner, qui me
remue l’âme. Regardons plutôt ce paysage que je vois peut-être pour la dernière
fois. Merci, Seigneur, de m’avoir octroyé cette joie…
    Mais pourquoi me mène-t-on d’un
train si rapide ? Nous venons déjà de passer Château-l’Évêque ; d’ici
Bourdeilles, nous n’en avons guère que pour deux heures. Le jour du départ, il
faut toujours faire petite étape. Les adieux, les

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