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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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de maintenir
à tout prix le régime bureaucratique (qui est la cause de cette faiblesse) ont
guidé Staline dans sa politique étrangère récente. La tentative de conquête de
la Scandinavie, commencée par le III e Reich, grosse de périls futurs
pour l’URSS, lui impose les plus amères réflexions. Et la logique des faits
doit lui faire souhaiter la victoire des Alliés en Norvège. Il est significatif
que les Russes aient évacué Petsamo à l’heure même où les Allemands débarquaient
à Narvik ; significatif aussi que M. Maïsky, ambassadeur de Staline à
Londres, ait donné à son collègue de Norvège une manifestation publique de
sympathie : ce n’est certainement pas sans avoir reçu une directive à ce
sujet. Les grandes lignes de la situation ainsi établies, ne nous faisons pas d’illusions.
Tant que la puissance allemande restera redoutable, Staline demeurera enclin à
composer avec elle. Il nous semble bien dominé par le respect le plus têtu, le
plus borné que l’on puisse concevoir, de la force immédiate, de la force
matérielle, de la force nue… La crainte que les événements de Norvège lui
inspirent ne l’empêchera pas de jouer sa partie dans les Balkans, si Hitler
prend dans cette région du monde l’initiative d’une agression. Mais de tout
ceci résulte une situation nouvelle dont les développements peuvent être
inattendus.

Les hommes et les idées. Soldats russes
    7 mai 1940
    À peine avais-je envoyé à
La
Wallonie
l’article intitulé « L’homme russe et la guerre »
que je recevais, dans la nouvelle revue social-démocrate russe publiée à Paris,
par Théodore Dan , le
Novy
Mir
(
Le Nouveau
Monde
[370] )
une documentation particulièrement intéressante sur ce même sujet. Une
militante socialiste russe, qui signe D. D., s’est trouvée en Pologne et en
Lituanie au moment où l’occupation soviétique de Wilna venait de cesser. Elle s’est
intéressée aux soldats russes, tels que la population les a vus, tels qu’elle a
pu les voir elle-même. Ses notes sont vivantes et justes, je puis l’attester.
    Arrivés dans les petites villes polono-lituaniennes – qui
comptent parmi les plus pauvres de l’Est européen –, ces soldats soviétiques
furent stupéfaits de l’abondance des biens qu’ils y trouvèrent. Ils entraient
dans les boutiques et demandaient timidement si ce qui était exposé à l’étalage
pouvait s’acheter. « J’peux m’acheter des bonbons ? » demandait
un petit paysan portant l’uniforme de Staline. « Mais oui », lui
répondait le commerçant. « J’peux en acheter une livre ? – Bien sûr.
– J’peux m’en acheter un kilo ? – Naturellement… » Le soldat russe
acheta tout ce qu’il put… Ses camarades vidaient littéralement les magasins, car
le rouble avait cours, nul ne se doutant de ce que l’armée russe s’en irait
dans quelques semaines. Si étonnés, les soldats russes, de pouvoir acheter
librement ce qui leur plaisait, ou plus exactement ce dont ils avaient besoin, qu’on
en vit un se présenter dans un magasin accompagné de deux camarades qui
venaient certifier qu’il avait réellement un besoin urgent de linge de corps. Ils
se révélaient ainsi accoutumés à vivre dans une société au sein de laquelle, quand
on s’est procuré par son travail un peu d’argent, on est très embarrassé de s’acheter
quelque chose, faute de marchandise ; au sein de laquelle, pour acheter
des articles de première nécessité il faut prouver que l’on en a un besoin
urgent. L’esprit façonné par la pénurie et les méthodes bureaucratiques de
répartition.
    La pénurie de marchandises dure en Russie depuis près de
quinze ans. Il y eut toujours un certain déficit de marchandises par rapport
aux besoins et aux possibilités d’achat de la population : c’est le propre
des pays à industrie faible. De 1922 à 1926, quand la révolution commença de
porter ses fruits, après la guerre civile, la pénurie de marchandises s’atténua
sensiblement, le commerce étatisé, coopératif et privé fut libre. Le Thermidor
soviétique changea tout à partir de 1927-1928, en imposant au pays les
sacrifices exténuants du premier plan quinquennal, les luttes atroces de la
collectivisation forcée et la terreur qui suivit. Les jeunes hommes qui ont aujourd’hui
entre vingt et vingt-cinq ans ont donc grandi en régime de disette (et souvent
de famine), de répartition réglementée, de spéculation (souvent

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