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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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tous les temps… Mais les pauvres soldats
rouges qui ont vu leurs camarades périr par milliers, traversé eux-mêmes le
froid mortel, le feu, les attaques insensées, l’horreur inexprimable de tout
cela,
savent la vérité
. Rentrés
dans leurs foyers, ils la diraient… Les laissera-t-on rentrer dans leurs foyers ?
    Des commissions de triage constitueront des dossiers
individuels, interrogeront longuement les rapatriés, accueilleront les
dénonciations. On s’efforcera de leur reprocher de s’être rendus, voir d’être
passés à l’ennemi, d’avoir répondu aux questions de l’ennemi… On tentera d’en
faire des lâches ou des traîtres pour fusiller ceux qui ont été les témoins des
pires débâcles, de l’incapacité du commandement, de l’agitation. Et comme la
loi soviétique ordonne la déportation, dans les conditions les plus rigoureuses,
des familles des traîtres, il sera possible d’exercer sur les victimes
désignées le chantage à la destinée des êtres chers…
    Et pourtant, les récits des correspondants de guerre en
Finlande qui ont pu approcher les combattants russes nous apprennent qu’ils se
sont le plus souvent battus avec ténacité, dans des conditions souvent
effroyables, et tenus dignement en captivité. Un journaliste italien, M. Mondanelli,
et un vieux socialiste-révolutionnaire russe, V. Zenzinov [368] , ont donné, notamment,
dans divers journaux des notes fort intéressantes sur l’homme russe dans la
guerre de Finlande ; et bien qu’inspirées par des façons de voir opposées,
ces notes sont concordantes. Les prisonniers communistes gardaient la ferme
attitude d’hommes qui ont une conviction et trouvent naturel de risquer leur
vie pour accomplir un haut devoir. « Nous venons libérer le peuple finlandais…
Nous venons au secours du gouvernement Kuusinen qui est
celui des travailleurs révoltés… » Ils tenaient ce langage et quelques-uns,
désorientés par ce qu’ils apprenaient, se réfugiaient dans une aveugle fidélité :
« Chez nous », dit au journaliste italien une jeune communiste, infirmière,
« il n’y a pas d’opinion individuelle : il y a l’opinion du parti. »
Cette jeunesse, conduite à l’agression et au massacre par l’État totalitaire, a
de belles réserves de foi, de solidarité, d’énergie désintéressée. Il ne lui
manque que l’intelligence critique et c’est ce que le système lui refuse avec
le plus d’acharnement. Tous ceux qui ont approché ces prisonniers ont constaté
leur avidité de comprendre, la simple bonne foi avec laquelle ils faisaient
face à l’argument inattendu.
    Les prisonniers non communistes avouaient leur désarroi et
ne cachaient pas qu’ils faisaient la guerre à contrecœur sans savoir pourquoi. Après
la défaite de la 44 e division soviétique à Suomussalmi, V. Zenzinov
put prendre connaissance d’un certain nombre de lettres ramassées sur des morts [369] . Celles des
soldats sont écrites dans une langue gauche, et elles donnent la sensation
directe de la vie au village. L’impôt est lourd, on manque de tissu, on manque
de fourrage… « Si c’est possible », écrit une mère d’un tué au front
de Finlande, « tâche de nous envoyer deux morceaux de savon… » La
lettre d’un soldat en garnison à Wilna, récemment occupée, à son frère dit que « Wilna
est une ville remarquable où l’on peut tout acheter pour quasi rien »…
    Les dossiers personnels des communistes renferment des
autobiographies dans lesquelles il est question de parents arrêtés par le
Guépéou, et le communiste déclare avoir porté ce fait à la connaissance du
comité du parti, déclare avoir rompu toutes relations avec ces « contre-révolutionnaires »…
Un lieutenant note : « Mon frère Fédor, comptable d’une caisse d’épargne,
a été arrêté en 1938 par le Guépéou, j’ignore pour quelle raison… » Les
questionnaires que les officiers communistes sont tenus de remplir fouillent le
passé familial, le passé politique, la conscience même des interrogés avec une
brutalité ingénue. « Avez-vous jamais douté de la ligne générale ? été
trotskiste, opposant de droite, membre de groupements contre-révolutionnaires, quand
et où ? Si vous avez douté, pendant combien de temps ? » Il y en
a comme cela des pages entières.
    L’homme russe est allé à la guerre avec toute sa peine de
vivre, avec ses soucis amers, avec les peurs qui le tenaillent sous

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