Révolution française Tome 1
Théâtre-Français.
Et on chante aux carrefours :
Nous le traiterons, gros Louis biribi
À la façon de barbarie, mon ami
Gros Louis, biribi…
« Nous marchons à grands pas à la catastrophe »,
confie l’ambassadeur des États-Unis, Gouverneur Morris.
Louis partage ce sentiment. Il sait que les sans-culottes
pensent que « la nation n’est pas seulement en guerre avec des rois
étrangers. Elle est en guerre avec Louis XVI et c’est lui qu’il faut vaincre le
premier si l’on veut vaincre les tyrans, ses alliés ».
C’est un étrange moment, comme celui qui précède l’éclatement
d’un orage. Après des rafales, on a l’impression que le vent faiblit. On fait
quelques pas, on se prend à espérer. Car les sans-culottes ne sont pas tout le
peuple.
Un visiteur qui parcourt la capitale écrit :
« Dans quelle autre ville que Paris, verrait-on tout à
la fois deux faubourgs mutinés contre la loi, la force publique armée couvrant
les rues et les places, les hommes de bien, tristes, abattus, mornes, noircis
du deuil de la douleur, l’asile des rois assiégé par une multitude égarée, toutes
les autorités incertaines et tremblantes, et d’un autre côté la moitié de la
capitale indifférente pour ce qui se passe dans un quartier éloigné du sien ;
chacun allant à ses affaires comme si tout était calme ; le coin de toutes
les rues tapissé de trente affiches bleues, jaunes, ou rouges, qui promettent
des farces pour le soir ; trois mille oisifs arrangeant en conséquence l’ordre
de leur journée, flottant sérieusement entre Tancrède qui se donne au
Théâtre de la Nation, et Jocrisse ou la Poule aux œufs d’or qui est joué au Théâtre du Vaudeville ; des projets de soupers de corps, de
concerts, de personnes aimables, et cependant un volcan terrible mugit sous
leurs pieds. »
Le volcan gronde. Les troupes austro-prussiennes avancent
dans le Nord. Elles occupent Orchies et Bavay.
« Les Autrichiens, écrit Gouverneur Morris, parlent
avec la plus grande confiance de passer l’hiver à Paris. »
« Notre maladie avance bien », murmure-t-on dans l’entourage
de Marie-Antoinette.
Elle voudrait agir. Et elle transmet ce qu’elle apprend des
plans de campagne, à Mercy-Argenteau, le gouverneur autrichien à Bruxelles.
Elle se confie :
« Le roi n’est pas un poltron, dit-elle. Il a un très
grand courage passif… Il a peur du commandement et craint plus que toute autre
chose de parler aux hommes réunis… Dans les circonstances où nous sommes, quelques
paroles bien articulées, adressées aux Parisiens qui lui sont dévoués, centupleraient
les forces de notre parti. Il ne les dira pas. »
Louis connaît le jugement de la reine.
Peut-être a-t-elle raison lorsqu’elle dit qu’il a vécu tel
un enfant toujours inquiet, sous les yeux de Louis XV jusqu’à vingt et un ans, et
que cela l’a rendu timide, renfermé.
Mais s’il est passif, c’est aussi que c’est la seule forme
de courage que la situation admet.
Il sent, à ces chants, à ces roulements de tambour, à ces
milliers de fédérés qui arrivent de tous les départements, qu’un grand élan
patriotique soulève le pays.
Les Marseillais entrent au pas cadencé, précédés par
des cavaliers, acclamés par les sans-culottes de Santerre. Ils chantent « Aux
armes, citoyens ! Formez vos bataillons », ce Chant de guerre pour
l’armée du Rhin qu’ils ont entonné tout au long de leur route de Marseille
à Paris, et cette Marseillaise se répand comme une traînée de poudre.
L’Assemblée a décrété la Patrie en danger, appelant
aux enrôlements volontaires, et un détachement de cavalerie avec trompettes, tambours,
musique, et six pièces de canon, suivi de douze officiers municipaux à cheval
portant la bannière tricolore avec l’inscription La Patrie est en danger, parcourt
les principales rues et boulevards de Paris. On s’arrête. On monte sur une
estrade, on lit le texte de la proclamation :
« Des troupes nombreuses s’avancent vers nos frontières.
Tous ceux qui ont horreur de la liberté s’arment contre notre Constitution. Citoyens,
la Patrie est en danger. »
En trois jours, plus de quatre mille jeunes hommes courent
aux amphithéâtres décorés de drapeaux tricolores où sont reçus les engagements.
Qu’opposer à ce mouvement, à cette crue d’hommes ?
Quelques régiments de Suisses, qu’on va concentrer aux
Tuileries, des nobles courageux,
Weitere Kostenlose Bücher