Révolution française Tome 1
Paris.
« Voulez-vous guérir les maux ? Voulez-vous enfin
prendre une marche certaine ? Voulez-vous être justes ?
« Remontez toujours à la source !
« Jugez Louis XVI d’après ses crimes, rendez justice en
sa personne à la nation entière outragée par lui, jugez son exécrable épouse
dont les vices et les forfaits effraient l’imagination la plus exercée à
scruter le cœur des tyrans !
« Législateurs !
« Apprenez aux Français que vous voulez leur bonheur !
« Apprenez aux nations de l’Europe qu’elles ne jouiront
de ce même bonheur qu’au même prix !
« Proscrivez selon le mode de la justice et de la
prudence humaine les restes de cette race perfide !
« Qu’ils disparaissent tous et à jamais d’une terre
libre !
« Brutus ne laissera dans Rome aucun allié, parent ou
ami des Tarquins ! »
36
En ces premiers jours de novembre 1792, les journaux et la
minorité de citoyens qui les lisent ou se réunissent dans les sections s’interrogent :
Faut-il imiter les Romains qui ont chassé le roi Tarquin, et
se contenter de proscrire loin de la République le ci-devant Louis XVI ?
Le chasser, ou le juger ?
On dit qu’il vit paisiblement dans sa prison du Temple.
Il loge désormais dans la grande tour, et on lui a retiré – assure-t-on
– papiers, plumes et crayons, parce que l’on craint qu’il ne communique avec
les ennemis de la République.
On l’a séparé de Marie-Antoinette et de ses enfants, ainsi
que de sa sœur Elisabeth, puis on a cédé devant les récriminations de la
ci-devant reine.
Ils sont de nouveau réunis, logeant aux différents étages de
la grande tour, qui malgré les poêles est glacée.
Louis Capet, puis le dauphin, et bientôt Marie-Antoinette et
Madame Élisabeth, et même le « bon » valet Cléry, sont frappés par la
grippe, se plaignent de « fluxion de tête ».
Qu’on la leur coupe, crient les plus enragés des
sans-culottes.
« La tête du tyran au bout d’une pique », scandent-ils
autour du Temple, qu’un « sang impur abreuve nos sillons ».
L’opinion se divise.
Juger Louis Capet ?
C’est un « scandale de délibérer », dit Maximilien
Robespierre. Il fait effort pour parler, plus pâle et plus poudré qu’à l’accoutumée,
s’arrachant à la maladie pour marteler :
« Louis fut roi, la République est fondée. La victoire
et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle ; Louis ne peut donc
être jugé ; il est déjà jugé. »
Près de lui, aux Jacobins, se tient ce jeune député, Saint-Just,
que l’on commence à écouter, parce que sa logique implacable fascine, comme sa
pâleur, son visage aux traits réguliers, cette lourde tête qui semble reposer
sur la cravate blanche largement nouée, qui forme comme une sorte de
jabot. Il a le regard fiévreux, le ton exalté.
On dit qu’il est fils de militaire, qu’il a été élève des
Oratoriens de Soissons, et qu’à Blérancourt, dans l’Aisne, il fut colonel de la
garde nationale, patriote résolu, mais jeune homme singulier, auteur d’un roman
libertin, licencieux, Organt .
Il partage les idées de Robespierre, et peut-être les
inspire-t-il ?
Il affirme, comme Maximilien, qu’ouvrir le procès du roi, c’est
contester l’insurrection.
« Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires,
ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre, ils ne condamnent pas
les rois, ils les replongent dans le néant. »
Et la conclusion de Maximilien tombe comme un couperet :
« Louis doit mourir. »
Mais Robespierre et Saint-Just ne sont pas suivis. Marat
veut un procès.
Il faut que le peuple juge ce Louis Capet, coupable d’avoir
depuis juin 1789 tenté de briser les espoirs des patriotes.
N’est-ce pas lui qui a organisé l’« orgie » des
cocardes noires à Versailles, le 3 octobre 1789 ! N’est-ce pas lui qui a
tenté de fuir, afin de rejoindre les émigrés !
Pagure, hypocrite, corrupteur, il a comploté avec ses frères
réfugiés à Coblence, ce comte d’Artois et ce comte de Provence complices du roi
de Prusse et de l’empereur d’Autriche !
Et n’a-t-il pas donné l’ordre, le 10 août, de massacrer les
patriotes qui, révoltés par le Manifeste de Brunswick , avançaient vers
les Tuileries ?
Louis Capet, ci-devant Louis XVI, est responsable de
milliers de morts ! Et on voudrait ne pas le juger ? Peut-être pour
dissimuler les noms de ceux qu’il a
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