Révolution française Tome 1
corrompus ? Il faut donc un procès.
Et le 3 novembre, un député de la Haute-Garonne, Mailhe, présente
un rapport qui conclut que le ci-devant Louis XVI peut être jugé par la
Convention.
« Ne voyez-vous pas toutes les nations de l’univers, toutes
les générations présentes et futures, attendre avec une silencieuse impatience,
dit-il, que vous leur appreniez si l’inviolabilité royale a le droit d’égorger
impunément les citoyens et les sociétés, si un monarque est un Dieu dont il
faut bénir les coups, ou un homme dont il faut punir les forfaits ? »
Les Girondins – Brissot, Vergniaud, Barbaroux, Roland – sont
favorables au procès.
Le peuple, pensent-ils, ne veut pas la mort du roi, mais il
faut bien donner des gages à cette minorité de sans-culottes, d’enragés, qui s’entassent
dans les tribunes de la Convention, et tiennent Paris.
Et une partie de l’opinion s’inquiète.
« Le procès du roi occupe ici tous les esprits, écrit
le libraire Ruault, toujours bon patriote. Les visages s’attristent, les cœurs
s’affligent, car on prévoit que le dénouement sera fatal au malheureux
prisonnier… Les forcenés dominent l’Assemblée qui doit juger cet infortuné
monarque, et les forcenés ne sont point capables d’une grande et belle action ;
il leur faut du sang, mais le sang attire le sang, on commence par en répandre
quelques gouttes et l’on finit par des torrents et les tueurs sont tués à leur
tour, et voilà l’histoire de toutes les révolutions. »
On raconte comment, dans sa prison du Temple, la famille
royale est humiliée, insultée, persécutée même.
Un commis de librairie, Mercier, qui a été chargé de garder
le roi et sa famille, dit à Ruault que la « reine est tellement changée
depuis quatre mois qu’elle est là, qu’elle serait méconnaissable aux yeux même
de ceux qui la voyaient tous les jours : tous ses cheveux sont blancs, elle
paraît avoir plus de soixante ans ! ».
Lors des changements de garde, qui ont lieu tard dans la
soirée, on exige des prisonniers qu’ils ne se mettent point au lit à leur heure
habituelle.
« Quand la relève arrive, on leur demande de se mettre
en ligne, et un gardien dit en les désignant : “Voici Louis Capet, voici
Antoinette sa femme, Élisabeth sœur de Louis Capet, et les deux enfants mâle et
femelle de Louis XVI et d’Antoinette, je vous les remets tous sains et saufs, tels
que vous les voyez.”
« Pendant cette séance aucun d’eux n’ouvrit la bouche, ils
se laissaient compter comme des moutons. Quelle humiliation, grand Dieu ! Un
roi dans une telle situation doit désirer la mort la plus prompte. Un pauvre
particulier ferait bien le même souhait s’il était ainsi traité ! »
D’autres, au contraire, méprisent ce souverain déchu.
« Louis Bourbon, Louis XVI ou plutôt Louis dernier qui…
habite toujours la tour du Temple. Sa tranquillité ou plutôt sa stupide apathie
est toujours la même. Il ne paraît pas plus sentir ses malheurs que ses crimes »,
lit-on dans la Feuille villageoise .
Peindre ainsi Louis en homme stupide et donc inconscient de
la gravité de ses actes, et du moment qu’il vit, c’est aussi préparer l’opinion
à ce « qu’on oublie Louis XVI dans sa prison » puis, la victoire
acquise sur l’étranger, et elle semble à portée de main, on le proscrira.
C’est là le projet des députés de la Plaine, de nombreux
Girondins. Ils ajoutent :
« C’est l’avis de tous les Anglais qui ont embrassé
notre cause. Un roi chassé, disent-ils, n’a plus de courtisans, un roi tué se
fait plaindre, et cette compassion donne des défenseurs à sa famille. Tarquin n’eut
point de successeur, Charles I er d’Angleterre, décapité, en a encore. »
Louis mesure l’incompréhension ou la haine dont il est
victime.
Il leur oppose la prière, la conviction qu’il doit se
tourner vers Dieu, et que seule cette fidélité au Père éternel, et à son Église,
importe.
Il pense, il sait qu’il n’a jamais failli. Et donc que les
souffrances et les humiliations qui lui ont été infligées sont des épreuves
auxquelles Dieu le soumet.
Car Louis ne doute pas que le sacre qui l’a fait roi de
droit divin l’a distingué du reste des hommes, de ses sujets.
Et qu’il ne peut se soumettre à leurs lois qu’autant qu’elles
sont conformes aux exigences de sa foi, de sa fonction royale.
Et il n’a de comptes à rendre qu’à
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