Révolution française Tome 1
alors
il ne restera de vous que de glorieux souvenirs ! » Danton laisse
Lameth développer ses arguments en faveur du roi, et tout à coup l’interrompt, martelant
chaque mot de sa réponse :
« Sans être convaincu que le roi ne mérite aucun
reproche, dit Danton, je trouve juste, je crois utile de le tirer de la
situation où il est. J’y ferai avec prudence et hardiesse tout ce que je
pourrai ; je m’exposerai si je vois une chance de succès, mais si je perds
toute espérance, je vous le déclare, ne voulant pas faire tomber ma tête avec
la sienne, je serai parmi ceux qui le condamneront. »
« Pourquoi ajoutez-vous ces derniers mots ? »
« Pour être sincère comme vous me l’avez demandé. »
Il faut de l’argent pour mettre Danton en mouvement.
Le baron de Batz, émigré à Coblence après avoir été, constituant,
financier et conspirateur, Théodore Lameth, l’Espagnol Ocariz, agissant pour le
compte de Manuel Godoy, Premier ministre du roi d’Espagne, versent plus de deux
millions de livres pour l’achat du vote de députés à la Convention, parmi
lesquels Fabre d’Églantine.
Danton réclame deux millions supplémentaires. Mais cela ne
suffit pas. Et le Premier ministre anglais Pitt, et aussi le roi de Prusse ou l’empereur
d’Autriche refusent de participer à cette tentative de corruption politique qui
pourrait sauver Louis XVI.
Qu’on décapite ce malheureux roi, et, espèrent-ils, tous
ceux qu’attire la Révolution française, ces libéraux d’Angleterre et d’Allemagne,
comprendront ce qu’est la nature barbare de cette Révolution ! Et la
condamneront. Le sang de Louis doit coaliser l’Europe contre la France.
Danton comprend vite que les chances de faire échapper le
roi au procès devant la Convention et dès lors, il s’en persuade chaque jour, à
la peine de mort, sont faibles.
Alors il se retire, laisse la place à ses proches, comme cet
ancien boucher Legendre, fondateur avec lui du club des Cordeliers et député à
la Convention, qui déclare de sa voix puissante et avec son éloquence de tribun
qui veut la mort de Louis Capet :
« Égorgeons le cochon ! Faisons autant de
quartiers qu’il y a de départements pour en envoyer un morceau à chacun ! »
Mais dans les départements, c’est d’une autre nourriture qu’on
a besoin.
Or, en ces mois d’automne et d’hiver 1792, les citoyens les
plus pauvres, qu’ils soient paysans de Beauce ou ouvriers du faubourg
Saint-Antoine, souffrent à nouveau de la hausse du prix du pain, et de la
rareté qui s’installe.
Les queues apparaissent devant les boulangeries. On pille
les greniers. On arrête les convois de grains. On réclame la taxation des
denrées.
À Paris, un jeune bourgeois, Jean-François Varlet, prend
souvent la parole devant les sans-culottes, s’élève contre les riches.
Et le prêtre Jacques Roux, vicaire à
Saint-Nicolas-des-Champs, habitant la section des Gravilliers, est lui aussi l’un
de ces « enragés » qui exigent le partage des propriétés, la taxation.
Une députation venue de Seine-et-Oise se présente à la
Convention, réclame la taxation des subsistances, déclare que la liberté de
commerce des grains est « incompatible avec notre République qui est
composée d’un petit nombre de capitalistes et d’un grand nombre de pauvres ».
Mais le Girondin Roland, ministre, répond : « La
seule chose peut-être que l’Assemblée puisse se permettre sur les subsistances,
c’est de proclamer qu’elle ne doit rien faire. »
Et cependant, il faut agir pour éteindre cette insurrection
de la misère.
Saint-Just monte à la tribune de la Convention, regard fixe,
boucle à l’oreille droite, cravate nouée à large nœud, cachant le cou.
« Un peuple qui n’est pas heureux n’a pas de patrie, lance-t-il.
Il n’aime rien, et si vous voulez fonder une République, vous devez vous
occuper de tirer le peuple d’un état d’incertitude et de misère qui le corrompt…
La misère a fait naître la Révolution, la misère peut la détruire. »
Mais Saint-Just ne va pas au-delà de cette incantation
vertueuse.
Alors, qu’offrir au peuple pour l’apaiser ?
La victoire des années ?
La gloire de combattre les tyrans, de faire « la guerre
aux châteaux et d’apporter la paix aux chaumières », de propager la
révolution, de supprimer les droits féodaux.
« Lorsque nous entrons dans un pays, c’est à nous de
sonner le
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