Révolution française Tome 1
criant : « Marquis, salue ton maître. »
Dans les jardins du Palais-Royal, où l’on a planté les têtes
de Flesselles, de Launay et de quelques autres défenseurs de la Bastille, sous
les acclamations de la foule, on a dressé des listes de proscription : le
comte d’Artois, le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, le baron de
Besenval…
Une récompense est promise à qui disposera leurs têtes au
café du Caveau.
On porte en triomphe jusqu’à l’Hôtel de Ville les sept
prisonniers qu’on a libérés de la Bastille – quatre faussaires, deux fous et un
débauché – et déjà, on commence à arracher des pierres à la forteresse.
Elle était dans Paris le visage menaçant de l’ordre et de la
force monarchique. Elle doit être détruite, pierre après pierre.
Mais le pouvoir du roi renversé, c’est le désordre qui règne
à Paris.
« Nous faisions une triste figure, dit un bourgeois, membre
de la milice. Nous ne pouvions contenir la fureur du peuple. Si nous l’eussions
trop brusqué, il nous aurait exterminés. Ce n’est pas le moment de lui parler
raison. »
Alors les bourgeois mettent la cocarde « bleu et rouge »
à leur chapeau, et patrouillent, arrêtant les voitures des nobles qui s’enfuient
à la campagne.
« On les visite, on les fouille, on renvoie les nobles
dans leurs hôtels. On ne souffre pas qu’ils sortent de la ville. La bourgeoisie
ne quittera pas les armes que la Constitution ne soit faite. »
Louis, en cette fin de mardi 14 juillet, n’imagine pas la
gravité de ce qui vient de se produire à Paris.
Il est cependant si préoccupé, qu’il n’a pas chassé. Et il a
écrit à la date du 14 juillet, sur le carnet où il note ses exploits
cynégétiques, le mot « Rien ».
Au même instant à Paris, le libraire Ruault écrit :
« La journée de mardi a tué le pouvoir du roi. Le voilà
à la merci du peuple pour avoir suivi les perfides conseils de sa femme et de
son frère Charles d’Artois. Ce début de grande révolution annonce des suites
incalculables pour les plus prévoyants. »
Louis veut croire qu’il ne s’agit que de l’une de ces
émeutes parisiennes, de ces frondes que les rois ont toujours su écraser, ou
désarmer.
Et cependant l’inquiétude le ronge, et il la fuit, en se
contentant de répondre à une délégation de l’Assemblée qui veut lui faire part
de ce qu’elle vient d’apprendre des événements parisiens :
« J’ai donné l’ordre que mes troupes qui sont au
Champ-de-Mars se retirassent. »
Puis il bâille, s’enfonce dans ce sommeil où tout se dissout.
Mais à l’aube du mercredi 15 juillet, le grand maître de la
Garde-Robe le réveille, et chaque mot que prononce le duc de La
Rochefoucauld-Liancourt arrache douloureusement Louis XVI à la somnolence
protectrice.
La Bastille est tombée. On a promené des têtes au bout des
piques en poussant des cris de cannibales.
« C’est une révolte », balbutie Louis XVI d’une
voix sourde.
« Non, Sire, c’est une révolution. »
Louis a l’impression qu’il ne pourra jamais soulever son
corps.
Il se redresse lentement.
Il doit bouger, agir.
Il faut se rendre à l’Assemblée, répéter qu’on a pris la
décision d’éloigner les troupes de Paris et de Versailles.
« Je compte sur l’amour et la fidélité de mes sujets, dit
Louis. Je ne suis qu’un avec ma nation, c’est moi qui me fie à vous. Aidez-moi
dans cette circonstance à assurer le salut de l’État… Je ne me refuserai jamais
à vous entendre et la communication entre l’Assemblée et moi sera toujours
libre… »
Il se retire en compagnie de ses frères, rentre à pied au
château, accompagné par les députés des trois ordres.
La foule accourt, crie : « Vive le roi ! »
Louis se rassure, malgré les avertissements de la reine, du
comte d’Artois. Il faut, disent-ils, effacer par une victoire et un châtiment
exemplaire la révolte de Paris, la prise de la Bastille, la tuerie sauvage qui
a suivi.
Il faut imposer partout dans le royaume l’autorité du roi.
Le soir de ce mercredi 15 juillet, Louis écoute le récit de
la réception faite par Paris à la députation de l’Assemblée nationale qui s’y
est rendue dans l’après-midi.
Plus de cent mille Parisiens, souvent armés, l’ont
accueillie. On a crié « Vive la nation ! Vive les députés ! »
mais aussi « Vive le roi ! ». Le marquis de La Fayette,
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