Révolution française Tome 1
« électeurs » décident d’envoyer une
délégation au gouverneur de la forteresse, le marquis de Launay, afin qu’il
distribue de la poudre et des balles aux Parisiens qui doivent armer leur
milice bourgeoise.
La garnison de la Bastille compte 82 invalides et 32 soldats
suisses. Elle dispose de quelques canons.
Et autour de la forteresse avec ses fossés et ses
ponts-levis, et dans les rues voisines, se rassemblent au moins cent mille
Parisiens, auxquels se mêlent des gardes françaises, tirant cinq canons.
Il y a la foule spectatrice : elle crie, elle regarde, elle
attend, elle se tient à bonne distance, pour éviter les coups de feu s’ils
partent des tours hautes de quarante pieds, mais pour l’heure, en cette fin de
matinée du mardi 14 juillet, on ne tire pas.
Le gouverneur reçoit des délégations des « électeurs ».
Il ne veut pas donner de munitions, il n’a pas reçu d’ordre,
mais il négocie. Il invite les représentants des Parisiens à déjeuner, après
leur avoir fait visiter toute la forteresse.
Les députations se succéderont jusqu’à trois heures de l’après-midi.
Mais la situation s’est tendue.
Il y a huit à neuf cents hommes qui veulent conquérir la
forteresse. C’est parmi eux qu’on trouve les deux citoyens qui, par le toit d’une
boutique proche, parviennent au poste de garde, vide. Ils peuvent actionner la
machinerie du premier pont-levis.
Launay a eu beau montrer à la « députation » qu’il
fait reculer les canons, boucher les meurtrières, on l’accuse de trahison, d’avoir
laissé baisser le pont-levis pour que les « patriotes » s’engouffrent
dans la première cour, et là, pris dans la nasse, se fassent mitrailler.
On commence à échanger des coups de feu de part et d’autre. Le
millier d’hommes décidés à partir à l’assaut est d’autant plus déterminé qu’il
sent derrière lui cette foule qui l’observe, et l’encourage.
Il y a même parmi ces curieux « nombre de femmes
élégantes et de fort bon air qui avaient laissé leurs voitures à quelque
distance ».
Ces hommes, fer de lance de la foule, sont ouvriers ou
boutiquiers du faubourg, tailleurs, charrons, merciers, marchands de vin. Et
parmi eux, soixante et un gardes françaises, et le sergent Hulin qui fait
mettre les cinq canons en batterie, contre les portes et ponts-levis de la
Bastille.
Les ponts-levis s’abaissent. La Bastille capitule. On a
promis la vie sauve à la garnison.
La foule déferle.
On brise. On tire.
Il y aura quatre-vingt-dix-huit morts et soixante-treize
blessés, mais combien durant le siège et l’assaut, et combien après la
capitulation dans le désordre que personne ne contrôle ?
Les gardes françaises – Hulin, Élie, entré le premier –, les
vrais combattants – Maillard, un ancien soldat, le brasseur du faubourg
Saint-Antoine Santerre –, ne peuvent faire respecter les « lois de la
guerre ».
C’est Élie qui a donné sa parole d’officier français qu’il « ne
serait fait aucun mal à personne ».
Mais comment pourrait-il arrêter le torrent, contenir le
désir de se venger, d’abattre ces officiers, ces soldats, ce marquis de Launay ?
Plusieurs seront écharpés, dépecés.
Le gouverneur de Launay a reçu un coup d’épée à l’épaule
droite. Arrivé dans la rue Saint-Antoine, « tout le monde lui arrachait
des cheveux, et lui donnait des coups ».
« On hurle qu’il faut lui couper le cou, le pendre, l’attacher
à la queue d’un cheval. »
« Qu’on me donne la mort », crie-t-il. Il se débat,
lance un coup de pied dans le bas-ventre de l’un de ceux qui l’entourent. Aussitôt
il est percé de coups de baïonnette, traîné, déchiqueté.
« C’est un galeux et un monstre qui nous a trahis :
la nation demande sa tête pour la montrer au peuple. »
C’est l’homme qui a reçu le coup de pied, un garçon cuisinier
du nom de Desnot, qui est « allé à la Bastille pour voir ce qui s’y
passait », qui croit mériter une médaille en « détruisant un monstre ».
Avec son petit couteau à manche noir, et son expérience d’homme qui « sait
travailler les viandes », Desnot tranche la tête de Launay. On enfonce
cette tête au bout d’une fourche à trois branches et on se met en marche.
Rue Saint-Honoré, on accroche à la tête deux inscriptions, pour
qu’on sache à qui elle était.
Et sur le Pont-Neuf, on l’incline devant la statue d’Henri
IV, en
Weitere Kostenlose Bücher