Révolution française Tome 1
Talleyrand, de la mise à la disposition de la nation des biens du
clergé – l’État prenant à sa charge le salaire des membres du clergé : nouvelles
fractures dans le pays.
Le haut clergé s’arc-boute, refuse de laisser déposséder l’Église
de ses biens.
« Vénérables cultivateurs, écrit l’évêque de Tréguier, si
aujourd’hui on envahit les propriétés des premiers ordres de l’État, qui vous
garantit les vôtres pour l’avenir ? »
Mais l’État a besoin d’argent : les biens de l’Église
devenus biens nationaux serviront à gager les assignats – bons du
Trésor – avec lesquels l’État paiera ses dettes.
Le royaume est ainsi bouleversé de fond en comble en
quelques mois.
Les parlements, les provinces disparaissent. On crée les
départements, administrés par un Conseil général élu, et de même, chaque ville,
bourg, paroisse, soit quarante mille communautés d’habitants, aura une
municipalité.
Louis a l’impression que le sol de son royaume se dérobe
sous ses pas.
Une nation surgit, différente, violente, rétive, enthousiaste
aussi, faite d’assemblées multiples qui débattent, discutent, contestent, s’attroupent,
et la loi martiale n’y fait rien.
Il observe, écoute. Il s’enferme en lui-même devant ces
bouleversements, désorienté, comme si tout le paysage en place depuis des
siècles bougeait.
Il préfère se taire, muet face à ceux qui l’interrogent, espérant
des réponses qu’il ne sait pas, ne veut pas, ne peut pas donner.
« Quand on parle d’affaires à cet être inerte, dit l’un
de ses ministres, il semble qu’on lui parle de choses relatives à l’empereur de
Chine. »
Et ce qui arrive en effet, lui paraît étrange, incompréhensible
et – de là naît l’angoisse – inéluctable.
Qui sont, que pensent ces députés qui se réunissent rue
Saint-Honoré, non loin des Tuileries, dans l’ancien couvent des Jacobins ?
Ils se regroupent sous le nom de Société des Amis de la Constitution, qu’on
appelle bientôt club des Jacobins, qui a de nombreuses filiales en province
et où l’on rencontre aussi bien Sieyès que Mirabeau, La Fayette, Barnave que
Robespierre, et c’est ce dernier qui, le 31 mars 1791, en sera élu président.
Mais il existe aussi dans le quartier des Écoles, place du
Théâtre-Français, autour de l’avocat Danton, le club des Cordeliers.
Louis a le sentiment que dans cette « machinerie »
nouvelle, ni lui ni ses partisans ne peuvent trouver leur place.
On lui rapporte que dans l’Assemblée, les monarchistes « n’écoutent
pas, rient, parlent haut », interviennent peu souvent, et maladroitement, s’inquiètent
des menaces que depuis les tribunes on leur lance.
« Nous vous recommanderons dans vos départements »,
leur crie-t-on. Et en effet l’on s’attaque à leurs châteaux et leurs propriétés.
L’Américain Morris écrit de ces « aristocrates » :
« Ils sortent de la salle, lorsque le président pose la question, et
invitent les députés de leur parti à les suivre, ou leur crient de ne point
délibérer, par cet abandon, les clubistes devenus la majorité décrètent tout ce
qu’ils veulent. »
« Impossible, confie Mounier, qui a été élu président
de l’Assemblée, avant de se retirer en Dauphiné puis d’émigrer, que ces députés
de la noblesse et du clergé retardassent l’heure de leur repas. »
Ils quittent l’Assemblée vers cinq heures, et les députés « patriotes »
font passer aux « chandelles » les motions qu’ils désirent, assurés d’avoir
la majorité.
Louis ne sait ainsi comment agir. Tout change si vite. Il ne
se confie pas. Il ne donne pas sa confiance, sinon à la reine, dont il mesure l’amour
qu’elle porte à ses deux enfants, l’attachement qu’elle lui manifeste, la
résolution qu’elle montre.
« Quand elle lui parle, raconte le général Besenval, dans
les yeux et le maintien du roi il se manifeste une action, un empressement que
rarement la maîtresse la plus chérie fait naître. »
À qui d’autre pourrait-il se fier ?
Son frère, le comte d’Artois, a émigré à Turin, et rassemble
autour de lui les nobles qui veulent détruire ce nouveau régime, et rétablir la
monarchie dans tous ses droits sacrés.
Son cousin le duc d’Orléans a lui aussi émigré, mais à
Londres, et il mène sa politique, continue d’entretenir des liens avec La
Fayette. Quant au comte de Provence, Louis sait que ce
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