Révolution française Tome 1
choix qu’il a fait, et Marie-Antoinette l’y a incité, de
pousser la France dans la guerre, contre les princes et l’empereur, et même le
roi de Prusse, afin de voir leurs armées briser cette « faction sanguinaire
et furieuse », cette « Jacobinière », cette « secte
pernicieuse », est-il le bon ?
L’angoisse lui tord le ventre comme une faim douloureuse et
insatiable. Il sait que, le voudrait-il, il ne peut plus reculer.
Louis se souvient de cette confidence apeurée de l’évêque Le
Coz, constitutionnel et député il est vrai, mais homme modéré : « La
guerre ! la guerre ! la guerre ! a dit Le Coz, voilà le cri qui
de toutes les parties du royaume vient frapper mes oreilles. »
Et si cette guerre à venir au lieu d’être bénéfique à la
monarchie se retournait contre elle ?
Louis essaie de se convaincre qu’il ne s’agit là que d’un
cauchemar qui ne peut se réaliser, que des Jacobins comme Billaud-Varenne, Camille
Desmoulins et même Danton et surtout Robespierre s’opposent à la guerre parce
qu’ils sont persuadés qu’elle se conclura par la défaite, et donc par la victoire
du roi.
Robespierre a cinglé Brissot, le partisan le plus déterminé
d’un ultimatum à adresser à l’empereur et aux princes allemands.
« Votre opinion, lui a-t-il lancé, n’est fondée que sur
des hypothèses vagues et étrangères ! Que nous importent vos longues et
pompeuses dissertations sur la guerre américaine !… Comme les routes du
patriotisme sont devenues faciles et riantes !… Pour moi j’ai trouvé que
plus on avançait dans cette carrière plus on rencontrait d’obstacles et d’ennemis…
Je décourage la nation, dites-vous, non je l’éclaire. »
Mais Louis entend aussi Couthon, le Jacobin paralytique, déclarer :
« Peut-être la Révolution a-t-elle besoin de la guerre
pour se consolider. »
Il est glacé par les propos du député Hérault de Séchelles
qui envisage de créer « une dictature de salut public ».
« Le moment est venu, déclare Hérault, de jeter un
voile sur la statue de la liberté ! »
Qui subirait cette dictature, sinon le roi et la famille
royale ?
Déjà circule une pétition des « dix mille piques de
Paris », et Couthon précise : « Le plus grand nombre est pour la
guerre et je crois que c’est ce qui convient le mieux. »
Louis est une nouvelle fois saisi par le doute.
Se peut-il que l’intérêt de Couthon, de Vergniaud, coïncide
avec celui de la Cour alors qu’ils expriment des espérances contraires ?
Louis espère que les troupes étrangères réussiront comme
elles l’ont fait en 1787 aux Pays-Bas, en 1790 en Belgique, à rétablir l’ordre,
et les « patriotes » pensent que la guerre leur permettra d’en finir
avec la monarchie, fut-elle constitutionnelle, de donner par la guerre un
nouvel élan à la Révolution. Et c’est pourquoi Brissot a dit que les patriotes
ont besoin de « grandes trahisons ». Et Brissot, Louis ne peut en
douter, souhaite la « trahison » du roi.
Déjà certains « patriotes », évoquant le « comité
autrichien » qu’animerait Marie-Antoinette, dénoncent les « infâmes
traîtres à la patrie, coupables de crime de lèse-nation ».
Et Louis, lorsqu’il lit le discours du député de Bordeaux, Vergniaud,
ce « Girondin », n’a aucun doute sur ce qui peut arriver à la famille
royale.
« De cette tribune, s’écrie Vergniaud à l’Assemblée, en
tendant le bras vers les Tuileries, on aperçoit le palais où des conseillers
perfides égarent le roi… La terreur et l’épouvante sont souvent sorties de ce
palais. Qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi… La loi y atteindra
sans distinction tous les coupables et il n’y a pas une tête qui convaincue d’être
criminelle puisse échapper à son glaive. »
Louis le comprend : l’enjeu de la guerre, c’est pour
lui la vie ou la mort.
Mais la guerre est déjà là.
À Paris, à quelques pas des Tuileries, on pille les
épiceries.
« Les femmes du faubourg Saint-Marceau se sont en grand
nombre répandues dans divers quartiers de la ville. »
On a entendu leurs cris rue Saint-Honoré, dans les rues
autour de la place Louis-XV. Elles cherchent du café et du sucre, devenus rares
et d’un prix exorbitant, depuis que les Noirs de Saint-Domingue et des Antilles
se sont soulevés contre les colons, et ont brisé leurs chaînes d’esclaves.
Elles dénoncent
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