Révolution française Tome 1
autres, dans la guerre avec l’étranger, le
moyen de terrasser ici leurs ennemis ?
Pour les uns, les aristocrates, pour les autres, les
révolutionnaires. Et ces derniers espèrent que la guerre propagera parmi les
peuples les idées de liberté de la Déclaration des droits de l’homme.
Et que les émigrés seront vaincus et dispersés, les
monarques renversés par leurs peuples. Et la nation française, rayonnant, et
puisant dans les caisses des riches États, de la Hollande, aura de quoi combler
le déficit qui se creuse, et renflouer l’assignat qui perd chaque jour de sa
valeur.
Avenir sombre ! Que faire ?
Louis et Marie-Antoinette reçoivent Fersen venu
clandestinement à Paris. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, explique le
comte suédois, a mis au point avec le duc de Brunswick un plan d’offensive qui
devrait conduire les troupes prussiennes, en quelques semaines, à Paris. L’ordre
sera rétabli, et le roi disposera à nouveau de tous ses pouvoirs légitimes.
Louis ne commente pas les propos de Fersen. Il reste
silencieux alors que Marie-Antoinette manifeste sa détermination, se félicite
de ce que tous les journaux royalistes – Les Amis du roi, La Gazette
universelle, Le Journal de M. Suleau – publient la diatribe du
chancelier d’Autriche Kaunitz contre les Jacobins, « factieux, républicains,
dissolvateurs de la monarchie, boute-feux », et les journalistes ajoutent « gens
à pendre, à écarteler, à brûler ».
Pour se réjouir de telles attaques, d’une telle violence, il
faudrait être sûr de vaincre, et Louis s’il estime que les armées des
souverains d’Europe écraseront les troupes françaises, divisées, désertées par
leurs officiers, se demande si cette victoire viendra assez tôt pour éviter que
la « populace » ne s’en prenne à la famille royale.
Il a avec accablement, et aussi un sentiment de révolte, appris
que les soldats suisses du régiment de Châteauvieux qui s’étaient rebellés à
Nancy et que le marquis de Bouillé avait châtiés, ont été libérés du bagne, et
qu’une fête de la liberté sera célébrée en leur honneur à Paris. Les Jacobins
et les journaux patriotes saluent ces mutins comme des héros. Et se moquent du
général La Fayette – « Blondinet » – qui avait été favorable à la
répression des rebelles.
La fête a eu lieu le 15 avril. Les Suisses défilent, accompagnés
par une foule enthousiaste, et Le Père Duchesne peut exulter :
« Ah foutre ! Le beau jour ! Quelle fête !
Quelle joie !
« Jamais il n’y a eu sous le ciel un aussi beau
spectacle. Jamais le peuple n’a été plus grand, plus respectable… Il était tout
ce qu’il devait être, véritablement souverain, il ne recevait d’ordre de
personne… Les mouchards de Madame Veto s’étaient vantés d’avance qu’il arriverait
malheur… Je leur avais bien dit, foutre, que ça irait. Quand le faubourg
Saint-Antoine, quand les braves gens sans-culottes, quand Le Père Duchesne veulent quelque chose, y a-t-il quelque puissance dans le monde qui
puisse l’empêcher ?
« Ainsi donc, foutre, Madame Veto a eu beau remuer de
cul et de tête pour faire manquer notre fête, tous les mouchards de Blondinet
et Blondinet lui-même ont été impuissants. »
Louis veut savoir qui est cet Hébert, qui signe « Père
Duchesne », quel est cet homme qui prétend avoir fait rebrousser chemin à
Blondinet-La Fayette hostile à ce sacre de la mutinerie militaire, car le
général serait revenu à Paris pour tenter un coup d’État.
Et Hébert conclut, si sûr de lui : « Mais laissons
là cette foutue canaille qui ne mérite pas seulement qu’on s’en occupe. Nous
sommes assez vengés d’avoir foutu un pied de nez à tous ces jean-foutre… les
aristocrates noient leur chagrin dans des flots de vin muscat et nous, foutre, avec
du vin de Suresnes, nous nous élevons au-dessus de tous les trônes de l’univers. »
Et cet Hébert qui prône la haine des aristocrates, de la
reine, des prêtres et veut que la France soit la terre et le modèle de la
déchristianisation, est un ancien élève du collège des Jésuites d’Alençon, fils
d’un honnête joaillier. Il a traîné dans tous les estaminets de Paris. C’est un
misérable auquel l’invective, la grossièreté, la haine, ce parler sans-culotte,
ont donné notoriété et pouvoir d’influence, et revenus !
Car Le Père Duchesne est un journal qu’on s’arrache,
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