Sachso
15 heures. J’ai dormi vingt-deux heures d’affilée !
« Nous devions être un peu plus de deux cents Français ce dimanche-là au Revier. Malgré le dévouement de nos médecins, près de la moitié disparaîtront les jours suivants. En dépit de nos efforts – parfois, on allait jusqu’à les rudoyer –, des gars se laissaient mourir, incapables de résister longtemps. Ainsi Edmond Van Brabant, un Français du côté de Gennevilliers, que nous conjurions de tenir pour son anniversaire et qui ne put célébrer ses trente-deux ans le 6 mai 1945. Ainsi Michel, un jeune de vingt ans, l’un des derniers Français enterrés à Sachso. Il était si décharné que nous avons voulu le peser : vingt-huit kilos ! Quand on a rabattu le drap sur le cadavre, on n’aurait pas dit qu’il y avait quelqu’un dessous. »
La vie, la mort : c’est la guerre qui continue autour du camp libéré et Louis Gasquet le constate pour sa part dès qu’il peut s’extirper de son block du Revier et mettre le nez dehors en cette fin du dimanche 22 avril : « Ce que nous voyons, nous, c’est un officier russe montant un petit poney qui caracole à l’intérieur du camp, au milieu d’un véritable délire. C’est un Mongol des troupes de choc et il s’excuse de ne pas rester trop longtemps, car il lui faut continuer son combat. En effet, la guerre ne s’arrête pas là… »
Le 23 avril, les blocks 50 et 51 sont touchés par des grenades. Il y a cinq morts et une vingtaine de blessés. Les Soviétiques ordonnent que ceux qui peuvent marcher quittent cette zone de combat, en direction de l’est. Beaucoup rejoignent Bernau, à trente kilomètres, comme Maurice Poyard, et y séjournent jusqu’au 30 mai. C’est un communiste allemand libéré de Sachsenhausen qui est devenu maire de la ville et le départ des Français en camions soviétiques pour Dessau et la zone américaine donne lieu à de grandes réjouissances. Le 3 juin, Maurice Poyard rentre en France accueilli à Dombasle-sur-Meurthe par de gracieuses petites Lorraines. Mais il lui faut faire le détour de Paris, par l’hôtel Lutétia, avant de retrouver le 6 juin sa ville de Besançon en compagnie de son camarade Marandin.
À leur sortie du camp le 23 avril, d’autres ne vont pas jusqu’à Bernau. C’est le cas de Maurice Caminade qui, au bout d’une dizaine de kilomètres, s’installe dans une villa vide avec son ami Auchy : « Nous allumons la cuisinière et dînons copieusement avec les ressources locales. Après avoir écouté quelques instants le grondement lointain des canons, nous nous endormons… Le lendemain, nous atteignons Basdorf, où nous sommes hébergés à l’infirmerie d’un stalag par un prisonnier de guerre français rencontré par hasard. Pour le 1 er mai, une fête est organisée devant le casino de la ville, avec un bal que notre faiblesse nous oblige à quitter prématurément pour rejoindre l’infirmerie… Le 9 mai, au lendemain de la capitulation des nazis, l’ordre est donné d’évacuer le stalag. Avec les malades, je suis emmené en voiture et j’ai un aperçu des dégâts de la bataille. Mais il y a aussi des bois de pins qui ont été partiellement brûlés pour en faire sortir les vaches cachées par les fermiers. Ces animaux sont regroupés dans des prairies, où des Allemands requis s’en occupent, sous la surveillance de sentinelles soviétiques. Nous qui avons connu en France le pillage de l’armée d’occupation hitlérienne, nous ne pouvons nous empêcher de considérer ce spectacle comme un juste retour des choses… Nous parvenons ainsi au camp de regroupement de Velten, où nous sommes auscultés par une doctoresse soviétique et passons six jours en étant remarquablement traités. Le 16 mai, avec un autre Français, un Italien et deux Hollandais, je suis conduit au bureau de recensement de Birkenwerder, toujours au nord-ouest de Berlin. Le lieutenant français responsable nous désigne l’appartement où nous logerons. À notre grande surprise, il est vide de meubles et de matériel de cuisine. Durant trois semaines, nous devons nous débrouiller tant bien que mal avec notre ration quotidienne et nous dormons sur de la paille jusqu’au 7 juin, date de notre rapatriement par Magdebourg. »
LES DERNIERS AVIONS DE TEMPELHOF
À Sachsenhausen même, dans le camp qui s’est vidé au lendemain de sa libération, il n’y a plus dans les salles du Revier qu’un millier de
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