Shogun
situait au nord de Cathay, où que fût Cathay.
Avec ma part du butin, je reprendrai la mer et je ferai
voile vers l’ouest, vers mon pays, premier pilote anglais à avoir parcouru le
globe, et je ne quitterai plus jamais ma patrie – plus jamais, sur la tête de
mon fils !
Les bourrasques de vent l’empêchaient de rêver et le
maintenaient éveillé. Ce serait pure folie de s’endormir. Tu ne sortirais
jamais de ce sommeil, pensa-t-il. Il s’étira pour soulager les muscles
engourdis de son dos et resserra les
pans de son manteau. Il vit que les voiles étaient appareillées, la barre
solidement arrimée, la vigie à son poste. Il s’assit donc et se mit à prier
pour que la terre apparaisse enfin.
« Descendez, chef. Je prends la relève si ça vous
arrange. » Le lieutenant en second, Hendrick Specz, montait l’escalier
avec difficulté. Il avait le visage gris de fatigue, les yeux noyés, le teint
brouillé et la peau couverte de rougeurs. Dans un haut-le-cœur, il s’appuya
lourdement contre le kiosque pour se remettre d’aplomb. « Seigneur Dieu,
maudit soit le jour où j’ai quitté la Hollande.
— Où est le second,
Hendrick ?
— Dans sa couchette. Il peut pas
sortir de sa scheit voll de couchette. Et il en sortira pas – en tout
cas pas avant le Jugement dernier.
— Et le commandant ?
— Il réclame à boire et à manger. » Hendrick cracha. « Je lui ai dit que j’allais
lui faire rôtir un chapon et que je lui apporterais sur un plateau d’argent
avec une bouteille de cognac pour faire descendre le tout. Scheithuis !
Coot !
— Ta gueule !
— Je la ferme, chef. Mais c’est un
fou complètement bouffé par les asticots et on va crever à cause de lui. »
Le jeune homme eut un haut-le-cœur et se mit à vomir. « Seigneur Dieu, je
t’en supplie, aide-moi.
— Descends. Reviens à
l’aube. »
Hendrick s’installa avec peine sur l’autre siège. « Ça
pue la mort, en bas. Je prends la relève si ça vous arrange. Quelle est la
route ?
— Là où le vent nous pousse.
— Où se trouve le rivage que vous
nous aviez promis – où se trouvent les Japons – où ça se trouve, je vous le
demande ?
— Droit devant.
— Toujours droit devant ! Gottimhimmel, on n’avait pas pour consigne de cingler vers l’inconnu. On devrait déjà
être de retour chez nous, sains et saufs, le ventre plein, et pas être là à
courir après le feu Saint-Elme.
— Descends ou ferme-la. »
Hendrick, d’un air maussade, détourna le regard de cet homme
barbu, à la taille imposante. Où sommes-nous ? avait-il envie de demander.
Je ne peux vraiment pas jeter un coup d’œil sur le carnet secret ? Mais il
savait qu’on ne posait pas de telles questions au pilote, surtout pas à
celui-là. Si seulement je pouvais être en aussi bonne santé que lorsque j’ai
quitté la Hollande. Je n’hésiterais certainement pas. J’écraserais tout de
suite vos yeux gris-bleu ; je piétinerais votre rictus ; je le ferais
disparaître de votre visage et je vous enverrais en enfer, comme vous le
méritez. C’est moi qui serais alors pilote en chef et nous aurions un
Hollandais pour diriger le bateau – pas un étranger – et les secrets nous
appartiendraient. Car, de toute façon, nous serons bientôt en guerre avec vous,
les Anglais. Nous visons le même but : maîtriser la mer, contrôler toutes
les routes commerciales, dominer le Nouveau Monde, étrangler l’Espagne.
Hendrick murmura soudainement : « Les Japons
n’existent peut-être pas. C’est une légende Gottbewonden.
— Ils existent. Entre le
trentième et le quarantième degré de latitude nord. Maintenant, ou tu la fermes
ou tu descends. »
Hendrick murmura : « La mort rôde en bas,
chef. » Il se mit à regarder droit devant lui.
Blackthorne changea de position ; il souffrait
énormément aujourd’hui. Tu as plus de chance que les autres, pensa-t-il, tu as
plus de chance que Hendrick. Non, pas plus de chance. Tu es seulement plus
prévoyant. Tu as gardé tes fruits alors que les autres les ont mangés. En dépit
de tes avertissements. Ton scorbut est donc encore bénin. Les autres ont
constamment des hémorragies, la diarrhée, les yeux qui coulent, les dents qui
tombent ou se déchaussent. Pourquoi donc les hommes ne veulent-ils pas
apprendre ?
Il savait que tous, jusqu’au commandant, le craignaient et
que la plupart même le haïssaient. Mais c’était normal
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