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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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effet.
    – Tu vendras le divan… Et mon complet brun…
    Ils rirent. Ce divan, ce complet brun, derniers recours !
Ils étaient prêts. Le surlendemain, on l’arrêta. Tout bonnement, dans la rue, avant
l’arrêt du tramway. Un type surgit sur le trottoir à côté de lui, marchant du
même pas que lui, le rejoignant de biais. Casquette et pardessus miteux, jeune
visage d’homme inculte.
    – Camarade Kostrov, je vous prie de m’accompagner…
    – Je sais, je sais, fit Mikhaïl Ivanovitch, presque
soulagé de son attente.
    L’autre ne s’étonna de rien.
    – Par ici.
    Ils entrèrent dans une cour au pavé défoncé. Des flaques d’eau
de pluie y stagnaient, une auto tout éclaboussée des boues de la nuit
précédente était rangée devant une porte ouverte sur un corridor sombre… Des
caves, montait une fade odeur de pourriture. Kostrov pataugea dans une flaque, contrarié
de penser qu’il allait crotter le bas de son pantalon, plus contrarié encore de
s’apercevoir qu’il ne pensait qu’à une chose aussi sotte. Le type lui ouvrit la
portière de l’auto.
    – Montez, citoyen.
    Le Comité de la coopérative de
logement prie les locataires en retard de loyer… sous peine d’inscription au
tableau noir… Coopérative de n°  6767, Lénine vit éternellement. Kostrov lut ces lignes
affichées sur le plâtre lépreux… Éternellement ! Tas d’idiots ! L’auto
bondit à travers les flaques, vira sous la sonnerie affolée d’un tramway, s’élança
vers la tour carrée, massive, en briques rouges de la porte de la Trinité, fila
devant les créneaux du Kremlin, devant la haute colonnade blanche du Grand
Théâtre, ralentit sous un portrait géant du Chef, qui recouvrait toute la
façade d’un grand magasin en construction, s’arrêta net sur la place Dzerjinski
à la hauteur d’une porte comme une autre gardée par un fantassin coiffé d’une
sorte de casque à pointe en étoffe. Au-dessus de cette porte un masque en
bronze noirci, souriait vilainement dans sa barbe. « Salut, Marx ! lui
dit Kostrov en lui-même. Ça te taquine, cette baïonnette ? Tu fais bien de
ne pas te montrer parmi nous, ou tu la passerais toi-même cette porte, vieux
frère, et tu serais vite servi… » Il n’avait que des idées puériles qui
allaient et venaient en désordre dans sa cervelle rincée par un vent froid. Mais
pas peur : une sorte de soulagement, un désir de railler…
    Ensuite, il plongea dans l’ennui d’une longue attente
inutile dans un bureau vide ; de là, fut descendu par un ascenseur dans un
compartiment banal du Chaos ; du Chaos, il remonta à la surface du silence,
tranquillement ; et puis vint cette douleur cardiaque. Ainsi tourne une
clef dans une serrure, de l’autre côté de la porte ; et tout un inconnu de
désolation est derrière cette porte. Kostrov vous eût dit, complaisant envers
lui-même : « Vous savez, moi, ça ne m’émeut pas d’être coffré. J’en
ai vu d’autres. Par exemple à Lvov, en Pologne, en 20, les gendarmes m’ont pris
dans une rafle de suspects, mon ami, je n’en menais pas large. S’ils avaient
regardé d’un peu près mon passeport tchèque, j’étais au moins pendu. En 21, autre
histoire à Tiflis, moins dangereuse, bien sûr, puisque les social-démocrates
géorgiens furent très bien renseignés. Noé Agachvili vint me voir à la prison
du Métek, nous nous étions connus à Paris. « Votre soulèvement ? me
dit-il, mais mon cher, j’en tire toutes les ficelles. Je te mets à l’abri, dans
ton intérêt même. Tiens, veux-tu faire une partie d’échecs ? » Il
faut vous dire qu’Agachvili n’a jamais oublié le mat que je lui ai infligé à
Pétersbourg après l’insurrection de juillet où nous nous étions battus l’un
contre l’autre au coin de la Millionnaya… Je l’ai arrêté moi-même quelque temps
après la soviétisation ; il doit être à cette heure déporté dans l’Ouzbeskistan…
En 24, à Roustchouk, en Bulgarie, mauvais moment… En 28, à Moscou, mais alors j’eus
de bonnes discussions idéologiques avec mon juge d’instruction. Pas sans effet,
puisqu’il a mal tourné, ou plutôt bien tourné depuis : il est aux îles
Soloviétski, cinq ans, five years, Sir, pour
une déviation d’extrême-gauche…
    « Ici, tout de même, je me sens en famille, chez moi. On
nous coffre, la politique veut ça. Le stockage des blés se rapproche, se sera
un fiasco, évidemment, les chiffres de

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