Suite italienne
elle-même, alors que César, laissant faire ses troupes, avait préféré regagner son palais de la cité pour y attendre la fin des combats en préparant la suite de ses campagnes.
Droite dans la mêlée, ses longs cheveux blonds dénoués flottant sur ses épaules, elle abattait inlassablement la hache d’armes qu’elle maniait comme un homme. Autour d’elle, les siens accomplissaient des prodiges de valeur. Cinq cents cadavres jonchaient les abords du donjon. Mais la lutte était par trop inégale, et Catherine comprit qu’elle allait voir fondre ses troupes sans parvenir à vaincre.
— En arrière ! cria-t-elle. Retirez-vous dans le donjon ! Je le ferai sauter plutôt que de le rendre.
Ce n’était pas une menace en l’air. Dans les caves du donjon, dont les murailles lisses défiaient l’escalade, il y avait une grosse réserve de poudre. Donnant l’exemple, la comtesse voulut regagner son ultime retranchement tandis que ses hommes, reculant peu à peu, couvraient sa retraite.
Soudain, une exclamation de stupeur partit des rangs des combattants.
Le drapeau blanc !
En effet, sur les créneaux du donjon, quelqu’un hissait l’emblème de la capitulation, tandis qu’en bas une main criminelle refermait la porte de l’ultime refuge de Catherine. Giovanni da Casale parachevait sa trahison et s’assurait les cinq mille ducats promis par César Borgia.
L’instant de stupeur et de colère qui s’empara de la comtesse et de ses hommes leur fut fatal. Les Suisses se ruèrent en avant…
Quelques instants plus tard, l’un d’eux s’emparait de Catherine au nom du bailli de Dijon, son capitaine. D’abord furieuse, celle-ci se calma très vite, jeta sa hache ensanglantée désormais inutile tandis qu’un sourire, le premier depuis bien longtemps, apparaissait sur son visage las.
— Le bailli de Dijon ? Soit donc, Monsieur. Sachez que je me rends à lui et au roi de France ! C’est de votre maître suprême que je me déclare prisonnière.
C’était, en effet, très certainement le salut. La comtesse n’ignorait pas que la loi française interdisait qu’une femme fût prisonnière de guerre et c’est très calmement que, encadrée par les Suisses, elle quitta sa forteresse à demi ruinée et gagna le tertre où l’attendaient ses vainqueurs.
César Borgia, qui s’était hâté de revenir, s’y tenait auprès du duc de Vendôme, du bailli de Dijon et du seigneur Yves d’Allègre. Voyant s’avancer cette femme pâle aux cheveux défaits répandus sur sa robe déchirée et sanglante, ce dernier sauta à bas de son cheval et s’inclina profondément, balayant la poussière des plumes noires de sa toque. Puis il se redressa et, à pleine voix, ordonna :
— Soldats ! Au nom du roi de France, saluez !
Les tambours roulèrent, les trompettes sonnèrent, tandis que des larmes montaient aux yeux de la guerrière vaincue. Et ce fut en reine, saluée par les vivats de toute l’armée, qu’elle approcha des capitaines.
Vivement, à l’exemple d’Yves d’Allègre, le duc de Vendôme avait mis pied à terre et force fut à César Borgia, si furieux qu’il en grinçait des dents, d’en faire autant.
Le soir venu, une violente discussion éclatait entre les chefs de guerre. César Borgia exigeait que la prisonnière lui fût remise. Yves d’Allègre s’y opposait farouchement.
— Vous êtes ici pour me servir, hurlait le fils du pape. Le traité que j’ai signé avec le roi votre maître indique que les conquêtes seront miennes !
— Les conquêtes, oui, pas les femmes ! Madame de Forli est sous la protection du roi de France et je suis prêt à soutenir, les armes à la main, que ma cause est juste. Êtes-vous prêt, Monseigneur, à en faire autant ?
Il n’en était évidemment pas question. Borgia parut céder. Il se contenterait donc de la ville et de sa forteresse… Cependant, il restait encore, dans l’État un point chaud : la petite citadelle de Forlimpopoli qui ne semblait pas désireuse de se rendre, sans doute parce qu’elle ignorait la chute de Ravaldino. Monseigneur d’Allègre accepterait-il de s’en charger ?
Allègre accepta. Ce n’était d’ailleurs qu’une formalité : la comtesse vaincue, Forlimpopoli ne résisterait pas plus de quelques heures, et il voulait tout de même faire preuve de bonne volonté.
— J’y vais, dit-il. Demain, je serai de retour !
Hélas, l’apparente courtoisie de Borgia avait trompé le Français,
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