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Suite italienne

Suite italienne

Titel: Suite italienne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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gagner ?
    — Parce qu’il craint de se couvrir de ridicule aux yeux de ses alliés. Ton capitaine en est à sa première campagne, Giovanni. Souviens-toi qu’il n’y a pas deux ans, ce foudre de guerre était encore cardinal, qu’il a tué son frère Juan pour prendre sa place et qu’à peine la simarre jetée aux orties, il s’est marié avec la complicité de son lamentable père !
    « Qu’attendre de cet assassin, de ce défroqué, fils d’un prêtre concussionnaire et débauché ? Je hais les Borgia, Giovanni, et il me plaît de voir César trépigner de rage, avec sa belle armée, devant la porte d’une femme.
    — Et c’est pour cette satisfaction que nous devons tous périr, jusqu’au dernier ?
    Elle le toisa, frappée tout à coup par une cruelle déception.
    — Je ne pensais pas que la mort pût effrayer un soldat, Giovanni, ou même un homme véritable. Mais peut-être après tout n’es-tu ni l’un ni l’autre ?

II
La captive aux chaînes d’or
    Ce soir-là, Catherine demeura longtemps sur le rempart après que son amant eut disparu, sans doute pour aller chercher au fond d’un broc de vin l’oubli de la peur que lui inspirait César Borgia. Jamais comme cette nuit, elle n’avait éprouvé à ce point le besoin de solitude. Peut-être parce que son âme indomptable portait maintenant une fêlure.
    Résister lui avait paru facile, vivifiant même, tant qu’elle avait imaginé que le cœur de celui qu’elle aimait battait à l’unisson du sien. Mais avec quelques phrases, l’idole avait vacillé sur ses pieds d’argile et s’était effondrée dans la boue. Un lâche ! Giovanni n’était qu’un lâche. Elle l’avait cru sans peur, sinon sans reproche, et à découvrir en lui un couard, elle éprouvait une sorte de malaise physique proche de la nausée.
    Elle n’avait pas de chance, décidément. Hormis Jean de Médicis, tous les hommes qui avaient joué un rôle quelconque dans sa vie étaient des lâches, depuis Girolamo Riario, son premier mari, jusqu’à ce Giovanni da Casale, en passant par le beau et stupide Feo, son second époux. On eût dit qu’elle attirait les pleutres, elle dont la vaillance était célèbre dans toute la péninsule.
    La dame de Forli allait enfin quitter le chemin de ronde pour prendre quelque repos quand une flèche siffla et vint s’enfoncer en vibrant dans la porte de l’escalier, non loin d’elle. Quelque chose de blanc, un papier sans doute, était attaché à l’empennage.
    Elle le détacha, le lut, et un sourire mélancolique vint éclairer son beau visage. C’étaient des vers d’amour, un court poème écrit en français et qui célébrait à la fois son courage et sa beauté. Ce siège, décidément, n’avait rien d’habituel et si Borgia se révélait un ennemi acharné, les Français qui l’aidaient par ordre du roi Louis XII étaient de bien curieuses gens. Ils assiégeaient la forteresse d’une femme qu’ils couvraient de vers et de déclarations enflammées…
    Car ce billet n’était pas un cas isolé. Il en tombait sur le chemin de ronde trois ou quatre chaque nuit, et ce n’étaient jamais des lettres anonymes ; poèmes ou billets doux étaient toujours signés, parfois de fort grands noms, et tous comportaient autant de passion que de fautes d’orthographe, ce qui n’était pas peu dire !
    Fourrant le papier dans son aumônière, la comtesse se décida enfin à regagner ses appartements, mais sans qu’elle pût expliquer pourquoi, son cœur était un peu moins lourd. Ces hommages venus du camp ennemi apaisaient quelque peu sa déception, car elle était trop femme pour ne pas se montrer sensible, si peu que ce fût, à une dévotion qui employait de tels moyens pour se faire connaître.
    Le lendemain matin, Borgia fit une nouvelle tentative de conciliation, encore plus mal reçue que la veille. La dame de Forli lui rit au nez, et comme il offrait pour caution de sa bonne foi les paroles d’honneur du bailli de Dijon et du seigneur d’Allègre, elle lui répliqua fort vertement que « là où manquait le principal, il n’y avait que faire de l’accessoire… ». On ne pouvait, selon elle, être bon gentilhomme, même si l’on était roi de France, en étant l’allié d’un bandit tel que César Borgia !
    Naturellement, après une entrevue de cette aménité, le Valentinois rentra au palais de la cité à peu près fou de rage, jurant qu’avant peu, il aurait raison de cette femme indomptable.

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