Talleyrand, les beautés du diable
il s’agissait d’Alfred de Musset.
Elle était en passe de devenir une gloire littéraire à cette époque. Elle avait déjà publié Indiana et Lélia ...
Charles Maurice accepta de la recevoir. Infatigable coquet, il aimait toujours à tenir table ouverte et à faire admirer les charmes de son château.
Surtout à une femme !
Et même s’il fut vite en mesure de constater que la féminité à l’état pur n’était pas la qualité première de la baronne Dudevant, alias madame Sand.
Lança-t-il alors un mot sentencieux ? Grogna-t-il une de ces réflexions piquantes dont il avait le secret ? On peut le croire, car il ne se passa que peu de temps avant que l’insupportable George Sand ne publiât un violent article dans la Revue des Deux Mondes . Presque un réquisitoire. Il y était en effet question d’un « homme à la lèvre convexe et serrée comme celle d’un chat » ; d’un « satyre, mélange de dissimulation et de lascivité » ; d’un « vieillard au nez arrogant, au regard de reptile » ; d’un « voluptueux hypocrite né pour les grands vices et les petites actions »... « Jamais ce coeur n’a senti la chaleur d’une généreuse émotion, insistait-elle. Quelles guerres sanglantes, quelles calamités publiques, quelles scandaleuses exactions a-t-il empêchées ?... Ce vieux vautour chauve et repu mourra lentement et à regret dans son nid. »
Et pour remercier définitivement son hôte du bel après-midi passé à Valençay, elle planta une banderille fatale. Après avoir fait allusion à Dorothée « si belle, vêtue de blanc comme une jeune fille, comme une nymphe de Diane », aux « éclairs magiques de ses yeux, les plus beaux yeux de France », elle tempêta :
« Quoi ? On me parle de tableaux hideux et de soupçons horribles ! On me dit que ce lys élégant pousserait sur le fumier ! Le monde contient-il de tels monstres ? Ah ! je veux ignorer, je veux nier que la débauche rampante et la sordide avarice habitent des êtres si séduisants et se cachent sous des formes aussi pures... »
Le bel accès de vertu de la dame Sand !
À l’automne de 1837 Charles Maurice quitte Valençay. Les hivers sont tout de même plus confortables à Paris. Surtout pour un homme de près de quatre-vingt-quatre ans.
Mais c’est à regret qu’il regagne la capitale.
— Cette fois, j’ai une peine si excessive, si extraordinaire de m’arracher à ma demeure que cela me paraît être un pressentiment.
Il sent bien qu’il est arrivé aux portes de la mort.
— Ce n’est pas tout d’avoir du savoir-vivre, il faut aussi du savoir-mourir, disait un jour Germaine de Staël, sa maîtresse de jeunesse.
Il n’allait évidemment pas en manquer.
Il avait passé sa vie à négocier avec les grands de la planète, il lui restait à trouver des accords avec Dieu.
— Si je tombais sérieusement malade, je demanderais un prêtre, confie-t-il à Dorothée. Pensez-vous que l’abbé Dupanloup viendrait avec plaisir ?
Le père Dupanloup – de célèbre mémoire dans certaine chanson paillarde – était alors le supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et le confesseur de la petite Pauline.
La petite Pauline qui avait d’ailleurs bien grandi puisqu’elle comptait maintenant dix-huit printemps.
— Oui, répond la duchesse de Dino, mais il faudrait vous réconcilier avec Rome...
— Eh bien soit ! Le moment venu je me rétracterai, mais je ne veux pas que jamais on attribue ce geste à la faiblesse de l’âge !
— Hâtez-vous de vous mettre en règle, insiste Dorothée qui le voit diminuer de jour en jour, même si au début du printemps de 1838 il projette encore d’aller passer quelques jours à Pont-de-Sains, deux ou trois semaines à Nice et un bel été en Berry.
— Doucement, lui répond-il, doucement. De ma vie je ne suis arrivé en retard à un rendez-vous, parce que je ne me suis jamais pressé d’y aller.
Le 9 mai il donne encore un grand dîner en l’honneur de Lamartine qui vient de publier La Chute d’un ange . On sait que son ancien attaché d’ambassade, Adolphe de Bacourt, y assiste. On sait aussi qu’en ce qui le concerne il préfère la chute des reins de Dorothée à celle de l’ange du poète. Le lendemain, à défaut d’une promenade à Nice, il fait quelques pas au parc Monceau. Le vendredi 11, tout va bien.
Son dernier beau jour.
Le samedi il ne cesse de grelotter malgré les grosses fournées
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