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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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venus agiter le goupillon sur sa dépouille, on le transporta dans l’antichambre de sa bibliothèque. C’était la pièce que les docteurs Cogny et Cruveilhier aidés de l’honorable pharmacien Micard avaient choisie pour procéder à son embaumement.
    D’abord, il avait fallu le vider de tous les organes putrescibles, ce qui avait permis de constater que les poumons étaient sains et bien développés ; le coeur volumineux (pour quelqu’un que l’on disait insensible !) ; que le foie, l’estomac, les intestins n’offraient aucune lésion mais que les artères étaient cassantes.
    L’anthrax développé dans la région iliaque gauche semblait manifestement être la cause de la « terminaison funeste ». Il avait provoqué un « état inflammatoire général ». Aujourd’hui, on parlerait de septicémie.
    Après avoir été profondément incisé « dans la direction des fibres », le corps de Charles Maurice fut alors trempé dans un bain « avec solution de natrum » avant d’être « lavé intérieurement et dans ses cavités avec un alcool aromatisé », puis replongé pendant vingt-quatre heures dans un nouveau mélange « fortement concentré en tanin ». Ne restait plus qu’à saupoudrer le tout d’une « purette balsamique astringente » composée de « baume de tolu, du Pérou, storax, stryrax calamite, musc, ambre gris, quinquina, cannelle, gomme tacamaca », à recoudre les incisions, à badigeonner le produit obtenu d’une couche de vernis, à l’emmailloter de bandelettes « de diachylum gommées » et le tour était joué.
    Et le crâne ?
    Que l’on se rassure, il n’a pas été épargné, lui non plus !
    — Son empreinte fut prise par monsieur Guy, naturaliste de l’école de Médecine, avec un soin extrême, afin qu’elle restât une pièce authentique pour la science phrénologique, racontent Place et Florens. L’intérieur fut garni de poudre et d’étoupe, une ouverture par couronnes de trépan ayant facilité la sortie du cerveau. La face fut disséquée entièrement, préparée comme le corps avec un soin minutieux, de manière à respecter la physionomie qui fut remodelée. Après que les téguments et les muscles eurent repris leur place, les globes oculaires furent vidés et remplacés par des yeux en émail fabriqués d’après un portrait parfaitement ressemblant et confié obligeamment par monsieur Élie, premier officier de chambre du prince.
    Au terme de cette ultime et longue toilette, Talleyrand fut exposé pendant quelques heures au regard de ses proches, de ses nombreux domestiques et de quelques intimes.
    — L’opération avait parfaitement réussi, affirmera un visiteur, puisque sa figure qui conservait fort bien le caractère de sa physionomie était déjà presque complètement à son point de dessiccation. Les parties charnues des joues et de la bouche résonnaient même sous la percussion du doigt !
    À la suite de quoi, enveloppé dans un linceul de lin, il fut glissé dans un cercueil de plomb.
    Pendant que sa cervelle se désolait sur le coin d’une table où Micard l’avait malencontreusement oubliée.
    — Pouah, quelle horreur ! fit un valet venu faire le ménage.
    Et Victor Hugo raconte qu’il s’empressa de la jeter à l’égout, à la plus grande joie des rats qui l’engloutirent hâtivement à grands coups d’incisives.
     
    — On est peu de choses, tout de même, songea Charles Maurice, assistant à la scène du haut de la Jérusalem céleste.
    Dieu merci, avant que l’irréparable ne fût commis, on avait pris le temps d’étudier la conformité de sa matière grise et de sa boîte crânienne, et l’étude que publiera (en 1838, c’est-à-dire l’année même de sa mort) le phrénologue Charles Place le comblera d’aise.
    — Le crâne du prince de Talleyrand-Périgord révèle la ruse et la circonspection servies par une haute intelligence, la causticité combative tempérée par les sympathies de famille, écrira en effet ce spécialiste de la physiologie du cerveau.
    Devenu un pur esprit lanternant dans l’antichambre du Créateur, Charles Maurice fut sans doute très attentif au spectacle de ses obsèques que l’on célébra le mardi 22 mai dans l’église de l’Assomption.
    Partout du velours, des plumes, des broderies, des dorures, des médailles et des sautoirs ! Et quelle foule interminable ! C’est bien simple, s’il n’y avait eu son cercueil et quelques mines compassées pour

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