Talleyrand, les beautés du diable
retirer.
Pour éviter une nouvelle guerre, car quelques énergumènes parisiens se proposaient alors d’aller aider les Belges manu militari , faisant patte de velours, Charles Maurice, qui venait d’arriver à Londres, suggéra que l’on réunît une manière de congrès pour désamorcer le baril et créer un véritable État belge.
Il n’y eut quasiment que son fils pour tenter de lui mettre des bâtons dans les roues. Tu quoque fili ! O tempora ! o mores !
Le fils en question n’étant autre que Charles de Flahaut, qui avait été dépêché en Angleterre par le nouveau ministre des Affaires étrangères de Louis-Philippe, Horace Sébastiani de la Porta, porteur d’un projet qui s’avéra immédiatement indéfendable aux yeux de Charles Maurice.
— De la diplomatie de charcutier, bougonna-t-il.
Il s’agissait ni plus ni moins de saucissonner la Belgique en trois boyaux, l’un revenant à la Prusse, l’autre à la Hollande et le troisième à la France.
Il était évident que l’Autriche et l’Angleterre n’auraient jamais accepté de voir leurs rivaux se gloutonner tout le bon gras de l’Europe sans qu’ils fussent eux-mêmes conviés à tremper un croûton dans la sauce.
Flahaut insista cependant. Mais en vain. Son père trépigna et tapa du pied bot. Enfin, quoi ! Même un diplomate amateur aurait pu comprendre que cette élucubration à la Sébastiani équivalait à un casus belli !
Résultat, ils se fâchèrent pour de bon et Sébastiani, qui avait imaginé qu’en utilisant le fils d’Adélaïde l’affaire serait hâtivement bouclée comme il l’espérait, se retrouva Gros-Jean comme devant.
Allons, ce n’était tout de même pas à un vieux diable boiteux qu’on allait apprendre à éviter un pas de clerc !
— L’affaire de Belgique terminée, nous quitterons vite l’Angleterre, confia alors Dorothée exaspérée à Adolphe Thiers devenu l’ami de la famille.
Après de multiples chausse-trappes, toutes habilement évitées par le vieux Talley, cette affaire de Belgique se termina enfin le 21 janvier de 1831. Ce jour-là, la conférence de Londres, qu’il avait menée de main de maître, rendit ses conclusions : le royaume des Pays-Bas était dissous ; la Belgique formerait un État perpétuellement neutre, « dans la même situation que la Suisse ». Les cinq puissances lui garantissaient cette neutralité perpétuelle, ainsi que l’intégrité et l’inviolabilité de son territoire.
Une inviolabilité toute relative cependant car, on le sait, le moment venu et à vingt-six ans d’intervalle, Guillaume II et Hitler ignoreront totalement les accords de Londres.
La naissance de la Belgique – la dernière fille de Charles Maurice, donc –, ce fut aussi l’élection d’un roi – Léopold de Saxe-Cobourg – qui épousera un jour Louise, une fille de Louis-Philippe.
De quoi créer des liens !
Ce fut aussi la paix préservée sur le Vieux Continent et une manière de revanche de 1815. Parce que, avec la suppression du royaume des Pays-Bas, qui avait été institué « par haine de la France », notre frontière du Nord allait pouvoir se libérer de ses ennemis potentiels.
Après le terrible brouhaha de la symphonie des coups de canon napoléoniens, on assistait enfin au grand retour de la France dans le concert des nations.
— Oui, Sire, écrit Talleyrand à Louis-Philippe au matin du 21 janvier, la journée d’hier est une de celles qui me paraissent devoir tenir une bonne place dans ma vie.
Dans sa vie de grand chef d’orchestre.
Resterait tout de même à demander aux Wallons et aux Flamands d’aujourd’hui ce qu’ils pensent de cette journée-là. Et s’ils n’appréciaient pas trop notre évêque d’Autun ?
— Je sais, oui je sais, leur répondrait alors Charles Maurice en reprenant les termes de la lettre qu’il écrivit en son temps à sa vieille complice la princesse de Vaudémont. Je sais que la Belgique est artificielle mais je sais aussi qu’elle nous viendra. Je crois en effet qu’un jour ou l’autre le sens de l’Histoire la mènera à la France...
Il n’empêche que, le XXI e siècle ayant sonné, le roi de Laeken demeure toujours un descendant de Louise et de Léopold...
À l’époque où les Flamands et les Wallons commencent d’essayer de vivre en harmonie meurt Casimir Perier. Le 16 mai de 1832, précisément.
— C’était une âme de banquier scellée à la terre comme un coffre-fort, dira
Weitere Kostenlose Bücher