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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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puis vous faire connaître la source de mes prévisions à ce sujet, mais je regarde ce que je vous dis comme certain et inévitable. Plusieurs d’entre nous seront témoins de ces terribles événements ; quelques-uns en seront probablement les victimes...
    Ainsi parlait Cousturier près de vingt ans avant la prise de la Bastille !
    Tout devin qu’il était, le cher homme ignorait cependant qu’un des pensionnaires de son établissement parviendrait à tirer son épingle du jeu.
    Et de quelle belle manière !
    Les épingles ? Pour l’heure Charles Maurice a pris l’habitude de les ôter lentement des toilettes de sa comédienne. Et il les ôtera pendant deux ans.
    Quand un grand comédien aime une petite comédienne !
    — C’est grâce à elle que je devins plus aimable ou du moins plus supportable aux yeux de mes camarades du séminaire, songera-t-il en vieillissant et en se souvenant de ses jeunes années.
    Et il explique qu’ils avaient l’un et l’autre en commun une vocation obligée. En ce qui le concernait, ses parents avaient voulu en faire un gardien de tabernacle, quant à elle, elle avait dû, contre son gré, entrer à la Comédie. Il était à l’étroit dans la soutane, elle ne supportait pas les robes des servantes de Molière.
    — J’ai une sainte horreur du clergé.
    — Je déteste le théâtre.
    Alors ils n’hésitèrent pas à dégrafer les tenues qui les étouffaient.
    Et que Dorothée fût d’origine juive ne changea rien à l’affaire.
    — Oui, se moquera la caustique cantatrice Sophie Arnould, la Luzy était juive mais elle était devenue chrétienne lorsqu’elle avait appris que Dieu s’était fait homme...
    — Elle a une très belle figure, un organe plein et sonore, de la grâce et de la gaieté, observe alors Bachaumont.
    Mais le précieux mémorialiste a également retenu les paroles de cette chanson qui se fredonnait dans les coulisses de la Comédie-Française à l’époque où Dorothée Luzy jouait dans Tancrède ou dans Le Gâteau des rois , un petit couplet qui disait :
    Luzy obtient avec raison
    Les éloges les plus sincères.
    Elle rend tous les caractères
    On l’applaudit à l’unisson.
    Mais où Luzy est précieuse
    C’est en cu...
    C’est en cu...
    C’est en curieuse !
    Et, pendant deux ans, Charles Maurice fut enclin à penser que la curiosité n’était pas un vilain défaut...
    Que de combines n’a-t-il pas dû mettre au point, durant ces deux années-là, pour s’échapper du séminaire ? Que d’excuses n’a-t-il pas trouvées pour justifier ses absences répétées aux cours de théologie ? Assurément, c’est en fréquentant plus assidûment le sanctuaire de Luzy que la chapelle de Saint-Sulpice qu’il apprit à bien mentir, qu’il devint un merveilleux comédien, retors et machiavélique.
    Toutes les qualités d’un grand diplomate, en somme.
    N’étant pas dupe du mode de vie pour le moins coquin que menait le futur prêtre, le supérieur du séminaire aurait pu le renvoyer. Pourquoi tolérait-il qu’un jeune clerc idolâtrât davantage une comédienne experte au déduit que la Vierge Marie si pure et si belle ? Tout simplement parce que l’étudiant libertin se nommait Talleyrand-Périgord et qu’il avait des consignes, le père Bourachot. Des directives qui lui avaient été imposées par les parents de l’élève farouche : avec ou sans foi, avec ou sans maîtresse, il fallait en faire un futur évêque.
    — Il n’est pas envisageable que mon neveu soit chassé de votre établissement, avait insisté de son côté l’archevêque de Reims.
    Et on ne discutait pas avec le cardinal de la Roche-Aymon, on obéissait.
    Quand il ne roulait-boulait pas, rue Férou, dans l’alcôve de l’ardente Dorothée, Charles Maurice, on le sait, hantait régulièrement la bibliothèque de Saint-Sulpice. Rassasié de caresses, il aimait à dévorer tel ou tel ouvrage parmi les trente mille titres que possédait le séminaire.
    — Je passais des heures à lire les grands historiens, confie-t-il, la vie particulière des hommes d’État, des moralistes, quelques poètes, mais si les livres m’ont éclairé, ils ne m’ont jamais asservi.
    Un peu plus tard, il ajoutera :
    — Cette éducation prise à soi tout seul ne manque pas de valeur. C’est ainsi que j’ai appris qu’il y a trois sortes de savoir : le savoir proprement dit, le savoir-vivre et le savoir-faire ; les deux derniers dispensant généralement du

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