Tarik ou la conquête d'Allah
j’emploie me grugent sans vergogne.
Si jamais je monte sur le trône, je m’empresserai d’abolir ces édits imbéciles.
Les nobles me soutiendront même s’il me faudra ménager les susceptibilités des
évêques. Ces saints hommes ne sont pas les derniers à profiter de cette
situation. Ils possèdent de nombreux esclaves juifs et ils ont eu l’impudence,
lors d’un concile, de considérer comme pauvre une église qui n’avait pas au
moins dix esclaves ! Mais cessons cette discussion qui ranime inutilement
mes rancœurs. Nous célébrerons ton mariage avec Toda le mois prochain et je
puis t’assurer que le vin coulera à flots lors de cette fête !
Julien avait donc épousé la sœur de
Witiza. Toda ne lui avait donné qu’une fille. Dès son plus jeune âge, cet
enfant l’avait charmé par son caractère à la fois déterminé et espiègle.
Florinda se promenait en toute liberté dans le palais de Septem et n’hésitait
pas à interrompre son père quand il recevait des dignitaires ou qu’il rendait
la justice. Elle intervenait en faveur des gens du peuple, qui lui vouaient une
véritable adoration. Soucieuse de donner à sa fille une éducation soignée, sa
mère avait engagé à Toletum un Grec parlant également latin et goth. Une
esclave franque, Bathilde, était chargée de la surveiller. Âgée maintenant de
quinze ans, Florinda promettait de devenir une femme accomplie.
Plusieurs jeunes gens, fils
d’illustres familles aristocratiques propriétaires de vastes domaines dans la
région de Septem, avaient fait part de leur désir de l’épouser bien qu’elle
soit moins fortunée qu’eux. Julien n’avait pas découragé leurs avances, par
crainte d’offenser leurs parents, mais rêvait pour sa fille de partis plus
brillants que ces godelureaux infatués d’eux-mêmes. En fait, il la destinait à
son neveu Akhila, fils cadet de Witiza, le nouveau roi des Wisigoths. Le jeune
homme, qui avait effectué de nombreux séjours chez son oncle à Septem,
connaissait Florinda depuis l’enfance. Tout naturellement, il avait été invité
aux réjouissances marquant les quinze ans de sa cousine. Durant la fête,
l’exarque avait noté avec satisfaction que les deux jouvenceaux filaient le
parfait amour. Leur mariage était pour lui un signe de la Providence. Il
renforcerait l’alliance entre les Wisigoths et Septem. Or Julien avait plus que
jamais besoin de l’appui de Witiza pour faire face aux disciples du prophète
Mahomet dont l’audace ne connaissait plus de limite depuis qu’ils s’étaient
emparés, quelques mois auparavant, de Carthage et de la Mauritanie Césarienne.
Désormais, le principal ennemi de
Julien était le wali [7] de Tingis, Tarik Ibn Zyad. C’était un géant au visage buriné par le soleil aux
yeux habités par une étrange et inquiétante lueur reflétant son envie de
nouvelles conquêtes. Durant plusieurs mois, ce farouche Berbère avait assiégé
Septem. Après avoir défendu sa ville avec détermination, l’exarque avait
repoussé les assaillants avec l’aide d’un contingent wisigoth envoyé par
Witiza. Devant cette résistance inattendue, Tarik avait préféré prudemment
lever le camp et négocier une trêve. Il s’était engagé à ne plus attaquer la
place forte byzantine à condition que celle-ci accepte de lui livrer du
ravitaillement. Pour ce faire, il avait même autorisé des colons à regagner
leurs fermes abandonnées. Philagrius vint spécialement bénir leurs champs au
milieu d’un grand concours de fidèles. Tarik respecta scrupuleusement ses
engagements et fit exécuter des pillards berbères responsables de l’incendie de
plusieurs domaines et du massacre de leurs habitants.
Si ce geste parut aux Chrétiens de
bon augure, l’exarque ne partageait pas l’optimisme ou l’excès de confiance de
ses administrés. Son voisin agissait de la sorte moins par fidélité à la parole
donnée que par manque de moyens. Le jour où il recevrait des troupes fraîches,
il n’hésiterait pas un seul instant à reprendre les hostilités. Un incident
survenu quelques semaines plus tard à Tingis, dont l’avait informé Aurelius,
l’un de ses espions, confirma les craintes du dignitaire byzantin. Un jour de
marché, alors que les paysans affluaient des environs pour vendre leurs fruits,
leurs légumes et leur bétail, une violente altercation avait opposé un
commerçant chrétien, Maximus, à un soldat berbère de la garnison.
C’était là un
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