Templa Mentis
acceptez-le.
— Jamais ! tonna la mage.
— J’ignore ce que contiennent ces écrits mais je ne vous laisserai pas ébranler mon monde.
Un lent sourire.
— Je suis plus habile avec mon bâton que vous avec votre épée. Si duel vous cherchez, vous l’aurez.
— À voir.
Sans même avoir conscience de son geste, d’un coup sec du pommeau de son épée, Héluise fit voler en éclats les petits panneaux de verre qui protégeaient la flamme de sa lampe à huile et la tendit au-dessus de la cache emplie de parchemins, de papyrus et de tablettes en déclarant :
— Je les détruirais par le feu s’il le faut. Je ne me le pardonnerai jamais, mais je ne reculerai pas.
Igraine, affolée, abaissa son bâton de marche.
— Ne faites pas cela ! L’histoire de mon peuple gît dans cette cache. Sans compter les avancées de vos savants. Jamais Jehan Fauvel n’aurait détruit la connaissance.
— Jamais mon père n’aurait permis que le règne de Christ soit menacé, rétorqua Héluise, glaciale. Car, c’est de cela qu’il s’agit : vous et vos semblables voulez rétablir l’ordre ancien. Je ne le tolérerai pas. Vous souhaitez que ces textes soient préservés ? Retirez-vous, à l’instant.
Le regard fixé à l’esconce que la jeune femme brandissait toujours au-dessus de la cachette, Igraine passa la langue sur ses lèvres sèches d’appréhension.
— Poussez ce bras, poussez-le… un accident… tout s’enflamme. Je me retire. Préservez ces manuscrits, je vous en conjure. Protégez-les de tous. Mais vous ne savez pas à quoi vous vous exposez. Tant pis pour vous. Les loups seront lâchés afin de les récupérer. Ils ne vous laisseront aucune trêve, aucun repos. Je me retire…
— Pourquoi croirais-je que vous n’allez pas me tendre un piège, afin de m’arracher ces connaissances dès mon sortir de l’église ?
— Et si je le jure ?
— Sur qui, quoi ?
Une hésitation. Igraine, le regard fixé sur l’esconce, chercha fébrilement mais en vain une charade. La certitude qu’Héluise mettrait sa menace à exécution la fit fléchir. D’une voix heurtée, elle débita :
— Rosmenta, la déesse mère, à laquelle j’obéis, comme toutes celles de ma caste. Les devineresses du Sang. Je le jure sur Rosmenta ! Sachez toutefois que ma retraite n’est que provisoire. Ces textes nous appartiennent et nous reviendront. De cela aussi, je fais le serment. À vous revoir donc, au hasard de nos routes, miresse. Votre dieu vous garde. Souvenez-vous toujours : vous restez un animal traqué et les miens font partie de la meute.
Un lent froissement d’étoffe soyeuse, la mage avait disparu.
Druon récupéra à nouveau tablettes et rouleaux et les enveloppa de son mantel afin de les protéger. Sans un regard pour Catherine, cette femme dont il avait décidé qu’elle n’avait jamais été sa mère, il s’agenouilla à côté du templier mort et bagarra contre le grand corps afin de le retourner. Le rayon lumineux transmis par le vitrail nimba le beau visage pâle de pourpre. Bientôt, la lune déclinerait dans le firmament et les rais retrouveraient leur or. Héluise/Druon pria pour l’âme de cet homme, mort soulagé de n’avoir pu la tuer.
LIV
Broue-la-Noble, dernier jour de novembre 1306
H — Hervi ! Au service, à l’instant ! claqua la voix d’Aliénor de Colème.
La brute se précipita, dévala les quelques marches de l’escabelle de bois du chariot. Un sifflement sec. Un choc, d’abord à peine perceptible. Il ne comprit pas, même lorsqu’il découvrit l’empennage de plumes sombres qui dépassait de sa poitrine. Une autre flèche fila vers sa gorge. Il s’écroula à genoux, la tache de sang s’élargissant sur sa tunique. Une voix enfantine, guillerette, plaisanta :
— Hervi, va donc rejoindre ta maîtresse. Tu lui manques déjà. Rôtissez en aise dans votre enfer. Je ne connais point votre diable, mais en ce qui vous concerne, je l’espère sanguinaire et impitoyable envers ceux de ses sbires qui le servent si mal.
Igraine arracha ses deux flèches d’une traction ferme, essuya leurs pointes et leurs fûts sur les braies d’Hervi et sauta dans le chariot. Paderma, un tendre sourire aux lèvres l’y attendait. Tendant ses poignets entravés, la fillette déclara :
— La clef est pendue au cou de la vilaine brute. Récupérons les chevaux d’attelage, Igraine, ma sœur, ma mère, ma fille. Laig nous attend à La Loupe.
LV
Date
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