Templa Mentis
à un texte grec, mais ne parvint pas à le déchiffrer. Les lettres étaient familières, mais les mots qu’elles formaient se refusaient à lui. Son cœur cognait dans sa poitrine au point qu’il haletait. Il passa ainsi en revue des dizaines de textes, dont certains rédigés en langue arabe, d’autres en hébreu, d’autres encore en des dialectes dont il ne connaissait même pas l’existence. Un texte en latin, vieux de sept siècles, s’il en croyait la date qu’il portait, le stupéfia :
« Certes, il ne fait pas bon clamer d’une voix autre. Toutefois, au crépuscule de ma vie, je ne puis laisser persister tant de superstitions. Non, les maladies ne sont pas envoyées par Dieu 4 afin de châtier les pécheurs. Au demeurant, si tel était le cas, pourquoi Dieu dans Son immense sagesse, Sa toute-puissance et Son extrême amour décimerait-il nouveau-nés et enfançons les affligeant de fièvres, alors, qu’à l’évidence, ils n’ont guère eu le temps de pécher ? Ainsi que l’avait pressenti Hippocrate, les maladies se propagent par l’intermédiaire de miasmes transmis par l’air corrompu, le souffle des malades ou les nourritures avariées 5 … »
Templa mentis ! Le sanctuaire de la pensée. La connaissance. Cette connaissance dont son père déplorait la disparition, affirmant qu’elle avait retardé les créatures humaines pour des millénaires, s’étalait devant lui. Il parcourut à la hâte d’autres écrits, les larmes dévalant de ses yeux devant l’étalage du génie humain, ses mains tremblant d’émoi.
Mon père, mon père… Comme je voudrais que vous soyez témoin de cette découverte !
À genoux devant la cachette, le souffle court, heurté, maintenant fébrile, une sueur de vive émotion lui trempant le front, il s’attacha à réunir tous les manuscrits, le savoir des plus grands esprits passés. Le plus précieux des trésors.
Un bruit léger lui fit tourner la tête. Son regard tomba sur le cadavre de Catherine, le masque cireux, les lèvres décolorées, les yeux grands ouverts. Étrange, durant quelques minutes, Druon avait oublié sa proximité, avait oublié qu’il venait de l’occire. Catherine n’existait plus. Il épia les ombres du chœur et du transept. Une souris, sans doute. Il reprit sa tâche, soulevant avec une minutie extrême les manuscrits.
La pointe d’une lame s’enfonça dans le bas de sa nuque. Une voix très grave, très paisible et presque tendre :
— Debout, damoiselle Fauvel, de grâce.
Héluise se redressa, abandonnant doucement les rouleaux et les tablettes. Un homme encore jeune, grand, très beau, lui faisait face, un homme qui n’avait rien d’un vil gredin. De déroutante façon, Héluise n’eut pas peur. Au contraire, un calme improbable l’envahit. Pourtant, sa courte épée, utilisée afin de desceller la dalle, gisait au sol.
— Monsieur ?
— Plisans. Chevalier templier Hugues de Plisans. Ce… bien nous appartient. Depuis des siècles.
— Je… Je n’avais nulle intention de le dérober, messire chevalier.
— Oh, je le sais. Mais vous comptiez en divulguer le contenu.
— Oui-da, admit Héluise, un peu surprise. Il y a dans ces lignes tant de connaissances qui pourraient apporter moult progrès et bienfaits…
— Vous vous leurrez, damoiselle Fauvel. Sitôt que certains puissants en auront vent, elles seront détruites, perdues à jamais et vous avec, puisque vous êtes leur témoin. Le monde n’est pas prêt pour elles. Aussi les préservons-nous, dans l’attente du moment propice 6 . De plus, certains de ces textes nous sont indéchiffrables. Des écrits druidiques* uniques, utilisant les lettres du monde grec, cependant pas pour former les mêmes mots 7 . Que savons-nous de leur teneur ? Bienveillante ou maléfique ?
— Druidiques ?
— Hum… Si vous saviez combien de ruses, de détours il nous a fallu pour les amasser puis les rapporter en Occident ! Sur mon âme, je ne puis vous en laisser disposer.
Elle lut une insondable tristesse dans son regard. Il soupira, bouche ouverte. L’effarante vérité s’imposa à elle et elle comprit qu’elle avait vu juste : la croix droite du Sauveur avait été renversée sur le côté, pour former une croix de Saint-André… par foi, par respect. Un chevalier du Christ ne pouvait désacraliser la Croix en y ligotant la victime de son meurtre. Une injure faite au supplice du Divin Agneau, inconcevable pour un templier.
— Oh,
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