Testament Phonographe
ton droit, son chien, Karl Marx n’a pas assez médité sur la conjugaison possessive, la seule à ne jamais craindre les fautes d’orthographe, la conjugaison du mien et du tien. Toute l’Économie Politique repose sur un geste : la main qui livre, la main qui prend. Les théories sont en marge et n’expliquent qu’une certaine psychologie dans la détente de la production. Les macrodécisions ont des doigts d’acier. Le sien reste plus objectif : le sien est une parole d’attente. Le sien est un bien ignoré du bourgeois et en vitrine pour le gangster. En dehors des normes juridiques – et, singulièrement, des contraintes pénales – le sien perd de son objectivité : il peut devenir mien ou tien. C’est dans une telle perspective langagière qu’il convient d’étudier la psychologie du voleur.
Le voleur, sorti du chemin légal, ne prend qu’un bien vacant, et qui est vacant à l’heure de la technique, au moment où l’attirail du fric-frac est mis en œuvre, au moment du « guet » – ce qui est un travail dur et précis, au même titre qu’un travail sur un objet manufacturé. Le voleur ne prend pas « ses » risques. Il assume sa condition de voleur : il a contre lui la loi et pour lui, l’anti-loi c’est-à-dire sa loi propre. Il est significatif que cette loi dite « du milieu » qu’un romantisme sommaire a reléguée dans la mythologie du film policier soit en réalité une façon marginale de dire le droit, aussi, ou plutôt de dire l’antidroit. Dans le cas précis du « du milieu », le code de l’honneur est un code du silence. Celui qui parle, qui se met « à table » est passé de l’autre côté. La trahison lui a servi de support pour rentrer dans le rang. Et le rang, c’est une façon d’attendre les décorations ou le règlement de comptes. Au fond, la trahison est une morale du bien-être social, et le bourgeois trahit par omission.
Sans situation juridique il n’y a pas de droit. Sans mot pour le nommer il n’y a pas d’arbre. Nous faisons nos chaînes : par la règle, par les mots. J’entends par mot – cela va de soi – l’immédiat concept qui me rive au discours intérieur. Sans le mot « arbre », toute une tranche de ma connaissance s’évanouit : je ne vois plus de forêts, je ne sais plus m’y promener, je perds le feu et, perdant le feu, mon sang se fige, je suis perdu à tout jamais. J’entends bien le désespoir me sonner dans la brume de cette constatation. Je ne parle p lus. Je ne vois plus les nids, le recommencement total à chaque fois des mêmes vols, des mêmes cris, des mêmes chants. Sans arbre, où se nicheront les oiseaux ? Quand je les vois voler, pourquoi ne puis-je plus penser au mouvement des ailes, à cette géométrie apprise et que je retrouve dans le vol du corbeau, encore que, croissant, il inquiète les données magiques, apprises elles aussi.
Quand je vois un corbeau, je retrouve Poe et, ce faisant, les fiches psychanalytiques de Marie Bonaparte, et je me demande quel est celui des deux qu’il fallait mettre à la question. Le corbeau est devenu, pour moi, un fait littéraire et c’est cela que je nomme le désespoir. Je ne sais plus voir le corvidé. Je vois une forme allusive du destin et sa résonance littéraire ou poétique : trois coups portés à la vitre.
L’anarchie, cela vient du dedans , Il n’y a pas de modèle d’anarchie, aucune définition non plus. Définir, c’est s’avouer vaincu d’avance. Définir, c’est arrêter le train qui roule dans la nuit quand il s’écartèle à l’aiguillage. Autant dire qu’on est pressé d’en finir avec l’intelligence de l’événement. C’est par son inaptitude foncière à ne savoir rien définir que l’homme piaffe dans les remarques et la philosophie. Un train à l’aiguillage, c’est un devoir bien fait, c’est de la route honnêtement vendue à moi, passager, acheteur de cette ligne de nuit qui me conduit à X en passant par l’aiguillage Y, bretelle nécessaire mais dont j’ignore la raison déviationniste. On ne me dévie pas de ma route, on me la rend parfaite et sûre. Moi, je ne pense qu’au bruit d’enfer et la peur m’envahit. Je définis l’aiguillage par rapport à mon problème de solitaire roulant. Si je pense au bloc dispensateur de voie libre, j’y pense en imaginant l’homme aux manettes et à la possibilité d’une faussé manœuvre. Je ne donne pas la définition de l’ingénieur, je ne vois pas
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