Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Testament Phonographe

Titel: Testament Phonographe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léo Ferré
Vom Netzwerk:
que je n’aie décidé de transgresser l’ordre établi et de m’emparer par la force ou par la ruse d’un bien que je considère, de toute éternité, comme devant m’appartenir. Et ce qui m’appartient, je peux le casser : c’est ça, le droit de propriété, le droit de détruire… ad libitum ! Le droit de propriété sur le Van Gogh que j’ai payé trois cent millions, ça n’est pas celui de le mettre à La banque en attendant les jours maigres, ça n’est pas non plus celui de le regarder tout seul, chez moi, en maugréant ou non sur les façons particulières que le peintre avait d’aller au bordel, le rasoir dans la poche et l’oreille aux aguets… Non, mon véritable droit de propriété sur ce tableau est de pouvoir le brûler, dans ma cheminée, sur un bûcher d’indifférence, avec, dans l’œil et dans cette mémoire imaginée qui ne se trompe guère car les choses tournent en rond, les critiques d’art de l’époque qui n’ont rien vu du génie de Vincent. Or, moi, je vois et je suis devenu seul à « voir » dans cette pyromanie critique !
    Je ne vois pas la pâtée de mon chien parce que je ne mange pas « chien ». Ce n’est pas si sûr que ça, d’ailleurs. Dans le confort de mon salaire, de ma « quinzaine », de ma paie, de mes émoluments, de mes honoraires (curieuse façon de multiplier le vocabulaire du fric…) je ne regarde même pas le chien manger. C’est un monde qui m’indiffère. Moi, je suis un homme qui pense et qui mange du sauté de veau, du caviar frais ou du laitage, car le médecin me l’a recommandé. Mais ce système niveleur qui consisterait à me mettre à portée animale, à mesurer l’étendue, le territoire de la faim, de l’hydre jusqu’aux abonnés de la cantine communautaire, à souscrire au garde-manger des mouches tirées à quatre épingles sur la toile d’araignée en me disant : « C’est bien, je “ m’araigne ” j’en ai encore pour quatre jours… », cela, jamais, et pourtant… Si je meurs de faim, je broute, je dure, je ne pense plus au manger « chien » ou « homme » mais il importe que je « tienne » parce que la société m’a identifié, elle m’a donné un nom, je suis le fils de quelqu’un. Ce n’est pas un droit, la filiation, c’est un état. Un chien qui vole reçoit un coup de pied. Si je vole un pain, on m’enferme. Mon travail donc me vaut de n’être pas aux fers. Il vaut mieux, des heures durant, planter des clous dans l’imbécile « planning » de la merde prolétarienne que de bayer aux corneilles et, le soir venu, tendre des filets aux « honnêtes » gens et puis aller faire des comptes au commissariat de police. Le contentieux correctionnel que j’évite me fait l’esclave de quelqu’un et, aujourd’hui, d’un être précis : la société anonyme. Je veux dire par là, non pas l’artifice juridique qui met le Capital dans une action cotée en Bourse, mais ces gueules multiples du trottoir et du métro, le Peuple, l’humus sur lequel pousse tous les quatre ou cinq ans ce qu’il est convenu d’appeler le suffrage universel ! Les gens que je ne vois pas n’existent pas. Si je ne suis pas un bandit c’est parce que le Peuple a voté pour qu’on invente le Procureur de la République.
    Le peuple c’est le fourrier de la tyrannie.
    Une psychanalyse de la patrimonialité commencerait par nommer : le droit se parle. Mon patrimoine ne saurait vaincre jamais les prétentions de l’État à me soumettre à ses vues d’expropriation ou l’appréhension d’un voisin arguant d’une servitude de mitoyenneté si je ne produis pas la preuve cadastrale de mon mien. Qu’est-ce que le Mien sinon une convention achetée ? Mon chêne est à moi, mon chêne est centenaire. Une vue plus saine m’indiquerait qu’il est à celui qui l’a planté, au chêne père de la libre nature, au paysage dont il est un point mouvant dans la tempête ou statique dans l’été bleu. Qu’il est à lui-même, enfin ! Mon rein est à moi…
    Cette parole qui m’enchaîne au droit patrimonial est une parole de circonstance, une parole admise, écrite au bas de Pacte notarié et transcrite sur le registre des hypothèques, autre certitude d’authenticité. Le mot est lâché : « authentique ». Je m’en remets au parchemin, à l’écriture serve de cette parole inventée par le jeu social.
    Nous jouons à nous barricader dans les mots de possession : ma maison, ma femme, mon stylo,

Weitere Kostenlose Bücher