Tragédies Impériales
son mariage religieux, Sissi allait se trouver confrontée à l’insupportable étiquette impériale. Or, cette étiquette stipulait que la famille prenait, tous les matins, son petit déjeuner en commun, comme n’importe quelle famille autrichienne, et ne prévoyait aucune dérogation pour un lendemain de nuit de noces.
On ne sait ce que fut celle d’Élisabeth et de François-Joseph, mais on peut sans peine comprendre à quel point il devait être pénible, surtout pour une enfant de seize ans aussi farouche que l’était la jeune Impératrice, de se retrouver, au sortir de ce lit où elle était devenue femme, en présence de sa belle-mère et du reste de la famille autour d’une prosaïque table chargée de café au lait. Les « indécentes » coutumes françaises prévoyant le petit déjeuner au lit lui eussent beaucoup mieux convenu et plus encore, un départ immédiat, sitôt la cérémonie religieuse, pour un endroit paisible et solitaire, surtout solitaire !
Ce malencontreux petit déjeuner avalé, il y avait encore toute une série de réceptions, de cérémonies, qu’il fallait subir sous la direction incessante de l’archiduchesse Sophie, qui avait décidé de prendre en main l’éducation impériale de sa belle-fille.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’archiduchesse Sophie et elle apparaît, dans l’Histoire, comme l’incarnation même de l’étiquette, des sévères lois séculaires régissant le comportement des impératrices. Elle est la « belle-mère » par excellence, et bien peu se sont donné la peine de chercher la vérité de cette princesse bavaroise, mal mariée d’ailleurs à un homme totalement incapable de devenir un souverain, et qui avait vu mourir à peine éclos le seul amour de sa vie : le prince charmant et malheureux que l’on appelait duc de Reichstadt, le fils de l’empereur Napoléon I er et de Marie-Louise.
« Frantz » disparu de sa vie, Sophie, qui ne cachait pas le mépris que lui inspiraient les débordements conjugaux de Marie-Louise l’ex-impératrice des Français, n’avait plus vécu que pour ses fils et assurer à l’aîné, François-Joseph, la couronne impériale qu’elle aurait pu coiffer elle-même.
Son fils, qu’elle adorait, avait été élevé, dressé même, pour cette tâche écrasante, dont Sophie ne se dissimulait pas le poids et les impératifs astreignants. Voilà pourquoi, une fois venu le temps de lui choisir une épouse, elle s’était tournée vers l’aînée de ses nièces, cette Hélène dont mieux que personne elle savait avec quel soin elle avait été élevée, elle aussi, en vue du trône.
Le cœur de François-Joseph, en choisissant l’exquise mais sauvage Élisabeth, aucunement préparée à une tâche aussi rude, avait jeté par terre tous les plans maternels. Sophie, bien sûr, s’était inclinée : comment une mère accepterait-elle de voir souffrir son fils ? Mais si elle acceptait l’inévitable, elle n’en avait pas renoncé pour autant à donner, à l’Autriche, une véritable souveraine, à son fils, une épouse vouée uniquement à le rendre heureux. En un mot, un peu brutal peut-être, elle avait décidé de faire avec ce qu’on lui donnait. Le malheur fut qu’elle n’y mit sans doute pas assez de diplomatie et de doigté.
Consciente d’avoir affaire à une enfant, elle traita sa belle-fille en gamine plutôt irresponsable, qui avait grand besoin d’être élevée convenablement. Et cette femme qui, sur le trône, eût peut-être été une seconde Marie-Thérèse, se trouva ravalée par l’Histoire au rang de belle-mère tortionnaire, reproche qu’on ne lui aurait peut-être pas adressé, si le malheur n’avait voulu que sa belle-fille fût la plus ravissante et la plus romantique des femmes de son temps. François-Joseph eût-il épousé un quelconque laideron couronné, personne n’aurait songé à rompre la moindre lance pour elle contre Sophie. Mais allez donc vous attaquer à une héroïne de roman !…
Dans les jours qui suivirent son mariage, Sissi eut l’impression d’être installée dans une espèce de couvent à la règle sévère, un couvent dont la supérieure eût été Sophie et la maîtresse des novices sa dame d’honneur personnelle, la peu aimable comtesse Esterhazy. Les réceptions officielles surtout lui semblaient insupportables.
— Tiens-toi droite !… Il faut saluer plus aimablement !… Tu n’as pas fait attention à cette dame, en revanche tu as
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