Tragédies Impériales
de son pays, il était particulièrement curieux de la rencontrer.
Ce fut à Schönbrunn, au soir de son arrivée, que cette occasion allait lui être donnée, lorsqu’il arriva pour le grand dîner offert en son honneur par les souverains autrichiens.
Pour la circonstance, Élisabeth avait revêtu une robe blanche ceinturée de velours mauve, dont la longue traîne était toute brodée d’argent. Sur ses cheveux coiffés assez lâches, elle portait un simple cercle de diamants et d’améthystes qui lui allait particulièrement bien. Une parure des mêmes pierres ornait son cou et ses bras.
Ainsi ornée, elle assista, debout auprès de l’Empereur, à l’arrivée de l’hôte attendu, avec la curiosité qu’elle accordait d’instinct à tout ce qui était un peu exotique.
Le premier aspect la déçut. Nasir-Al-Din ne ressemblait en rien au grand Cyrus de ses lectures. Petit et plutôt maigrichon, il avait un visage en lame de couteau, barré par une énorme moustache noire d’aspect un peu mongol. La haute toque noire qu’il portait, prolongée d’une fabuleuse aigrette de diamants, lui mettait la tête à mi-chemin des pieds. Quant à la tunique militaire qui l’habillait, sanglée à la taille et vaguement juponnante, elle était tellement couverte de galons, de broderies et de décorations qu’on en distinguait difficilement la couleur. Il ressemblait à la fois à un arbre de Noël et à un personnage d’Offenbach.
Cependant, n’eut guère le temps d’analyser ses impressions. L’apercevant, Nasir-Al-Din fonça droit sur elle, s’arrêta à quelques pas, resta là pendant un moment sans bouger, comme pétrifié, puis, sans s’occuper le moins du monde de François-joseph qui ouvrait la bouche pour un petit discours d’accueil, tira ses lunettes d’or de sa poche, en chaussa son nez et se mit à tourner lentement autour de l’impératrice en poussant force soupirs et en s’exclamant à plusieurs reprises… et dans un excellent français.
— Mon Dieu qu’elle est belle ! Mon Dieu qu’elle est belle !
Le tout dans le silence que créent les grandes stupéfactions.
Durant un moment, le shah continua de tourner autour d’elle, sans paraître seulement s’apercevoir que l’Empereur cherchait à attirer son attention. Il fallut que François-Joseph, qui s’amusait beaucoup, se décidât à le tirer par sa manche pour qu’il consentît à lui accorder quelques regards.
— Offrez votre bras à l’impératrice, Sire, chuchota l’Empereur. Et veuillez la mener à table…
Nasir-Al-Din le fixa, sans paraître seulement comprendre un mot de ce qu’on lui disait. Puis comme l’empereur répétait sa phrase, un peu plus fort, son visage s’illumina d’un large sourire :
— Ah oui ! À table !
Et saisissant la main d’Élisabeth, il l’entraîna joyeusement vers la salle à manger, en balançant entre eux leurs mains unies comme le ferait un amoureux promenant sa belle dans un chemin buissonnier, sans d’ailleurs cesser un instant de la contempler et de lui adresser de grands sourires. François-Joseph suivit, partagé entre l’envie de rire et la crainte que la jeune femme, incapable de se contenir dans certains cas, ne partît de l’un des fous rires irrépressibles dont elle avait le secret.
Mais on parvint sans encombre à la table du banquet. Le repas allait réserver aux souverains autrichiens d’autres surprises.
D’abord, Sa persane Majesté ne jugea pas utile d’entretenir la conversation, préférant converser dans sa langue natale avec son grand vizir, qui se tenait debout derrière son fauteuil, parlant de toute évidence de l’impératrice, qu’il ne quittait pas des yeux, et ne s’occupant guère de ce que l’on servait.
Soudain, les valets apportèrent un magnifique poisson accompagné d’une sauce verte vers laquelle aussitôt le shah pointa son long nez, faisant signe qu’on la lui approchât.
Il examina la saucière attentivement, renifla la sauce d’un air méfiant.
— On dirait du vert-de-gris ! fit-il aimablement.
— C’est une sauce rémoulade, Sire, le renseigna Élisabeth.
— Ah !
Prenant la cuillère, Nasir-Al-Din l’emplit de sauce, la goûta, fit une affreuse grimace… et remit le plus tranquillement du monde la cuillère dans la saucière.
— Je n’aime pas du tout cela ! fit-il.
Au supplice, l’impératrice qui luttait courageusement contre le fou rire, avait préféré détourner les yeux et
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