Tragédies Impériales
fut un peu plus calme, sa suite jugea prudent de lui faire quitter Paris. On avait d’abord pensé qu’elle se dirigerait sur Bruxelles, mais le roi Léopold I er était mort l’année précédente. Son fils aîné, frère de Charlotte, régnait. Hélas ! Léopold II, les yeux fixés sur l’Afrique, ne s’intéressait nullement à l’aventure mexicaine. Il était donc inutile, si paradoxal que ce fût, d’aller à Bruxelles. Ainsi du moins pensait Charlotte, qui d’abord alla passer quelques jours à Miramar, puis se dirigea sur Rome. C’est là qu’allait éclater le drame.
Reçue au Vatican par le pape Pie IX avec beaucoup de bonté et de pitié, elle le trouva aussi inflexiblement attaché à ses positions : il ne pouvait faire passer le bien de l’Église avant l’intérêt d’un couple, si désireux fût-il de demeurer sur un trône et, doucement, tenta de faire comprendre à Charlotte que la partie était perdue, que s’obstiner serait de la folie, comme d’ailleurs l’estimait aussi l’empereur François-Joseph, et que la sagesse était de revenir tranquillement à Miramar en attendant qu’un poste digne de lui fût offert à Maximilien.
Charlotte écouta sans protester, regagna calmement son hôtel mais, le lendemain matin, comme le pape prenait son petit déjeuner, il vit soudain l’impératrice du Mexique, blanche comme un linge, les yeux exorbités, faire irruption chez lui, se jeter à ses pieds en criant qu’elle avait peur, que l’on voulait l’empoisonner. Après quoi, elle se jeta sur le chocolat pontifical et l’avala en femme qui n’avait rien pris depuis la veille. La senora del Barrio, qui avait suivi sa malheureuse maîtresse, expliqua du mieux qu’elle put l’étrange état dans lequel se trouvait Charlotte.
Celle-ci, d’ailleurs, refusait de quitter le Vatican. Il fallut que le pape, très ennuyé, lui fît dresser un lit dans un salon près de la bibliothèque, et Charlotte fut, dans toute l’Histoire, la seule femme, avec la senora del Barrio, jamais autorisée à dormir dans les appartements pontificaux.
Le lendemain, après une vaine tentative de la confier à un couvent, où elle fit scandale en criant que la sœur cuisinière voulait l’empoisonner, on parvint à la ramener à son hôtel, mais elle se livra à de telles extravagances dans la rue, buvant aux fontaines et poussant des cris, que la suite de la malheureuse, affolée, prévint à la fois Bruxelles et Vienne.
Huit jours plus tard, Charlotte était revenue à Miramar, où un médecin viennois vint l’examiner. La folie était patente, et ne devait plus se démentir. Au bout de quelques mois, le comte de Flandres, son frère, vint chercher la malheureuse et la ramena à Laeken, dont elle était partie si joyeuse quelques années plus tôt, sans espoir cette fois d’en sortir jamais. Dix-huit mois de règne avaient fait de la joyeuse Carlotta une pauvre folle.
Pendant ce temps, au Mexique, Maximilien tentait vainement de se raccrocher à son trône chancelant. Les troupes françaises étaient presque toutes parties. La dernière, la Légion étrangère, qui en 1863, à Camerone, avait écrit avec son sang l’une des plus glorieuses pages de son histoire, quitta le pays, non sans y être demeurée, par loyalisme, plus longtemps que ses ordres ne le prévoyaient. Mais malgré les objurgations de Bazaine, Maximilien voulait demeurer.
C’est alors qu’il reçut une dépêche chiffrée lui apprenant que l’impératrice, atteinte d’une grave maladie, était soignée par le docteur Riedel de Vienne. Il fit aussitôt appeler son médecin, un Autrichien, le docteur Basch :
— Savez-vous, lui demanda-t-il à brûle-pourpoint, qui est le docteur Riedel ?
Le médecin, sans méfiance, répondit tranquillement :
— Sans doute, Sire. C’est le directeur de la maison d’aliénés.
Maximilien laissa tomber le fatal papier et serra les dents. Folle, Charlotte était folle… Quelle chose horrible, impensable !… Son premier mouvement fut d’accourir vers elle, et un bref instant il songea à l’abdication, mais il se ravisa. À quoi bon ? Retourner là-bas, retrouver une pauvre démente qui ne le reconnaîtrait peut-être pas ? Mieux valait lutter jusqu’au bout.
Juarez et ses troupes, chaque jour plus nombreuses, tenaient maintenant presque tout le pays. Napoléon III avait envoyé à Maximilien son aide de camp, le général de Castelnau, pour le supplier de partir quand il en
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