Tragédies Impériales
d’entrer. Stéphanie lui adressa un sourire timide.
— Vous avez raison, princesse. Je crois bien que j’ai froid.
Quelques heures plus tard, vêtue de brocart blanc tissé d’argent, voilée des plus belles dentelles de Bruxelles et portant la célèbre parure d’opales et de diamants qui avait été celle de l’archiduchesse Sophie, puis de l’impératrice Élisabeth, Stéphanie rejoignait Rodolphe dans le chœur de l’église des Augustins, fleurie et scintillante de cierges. Ce fut avec un sourire rayonnant d’espoir qu’elle tendit la main à celui qui allait devenir son époux.
Les fêtes terminées, le jeune couple, comme le voulait la tradition, gagna le palais de Laxenbourg, un palais d’été situé au sud de Vienne. Stéphanie était recrue de fatigue et d’énervement après cette écrasante journée qui lui avait paru, en réalité, un supplice. Et la pauvre petite archiduchesse de seize ans souhaitait à présent désespérément un coin paisible et douillet où se réfugier avec son cher époux.
Mais Laxenbourg n’avait rien d’un nid d’amoureux. Personne, apparemment, n’avait pris soin de le préparer pour la lune de miel. Pas de confort, des pièces froides, hostiles. Pas une fleur ! L’ambiance de Laeken, toujours abondamment fleuri, son confort moderne et sa propreté typiquement belge, étaient bien loin !
Au seuil du glacial château, Stéphanie sentit l’envie de pleurer étreindre sa gorge. Elle comprenait maintenant un peu mieux ce qu’avait voulu dire sa sœur Louise, mariée depuis plusieurs années – et mal mariée ! – au prince Philippe de Cobourg, compagnon habituel des plaisirs de Rodolphe, qui, en l’embrassant au moment du départ, lui avait chuchoté :
— Courage, Steffie ! Ce n’est qu’un mauvais moment à passer !
Un mauvais moment ? Comment les premières heures d’intimité d’un jeune couple pouvaient-elles être un mauvais moment ? Philippe, bien sûr, était une brute. Mais Rodolphe, le cher, le bien-aimé Rodolphe ?
À vrai dire, il paraissait bien lointain, ce soir, le bien-aimé Rodolphe. Il avait commencé à grogner en arrivant à Laxenbourg. Il avait houspillé les serviteurs et réclamé à souper. Un morne souper où, trop fatigués, les deux époux n’avaient pas trouvé trois mots à échanger. Stéphanie se raidissait, corsetée par son éducation de princesse royale, pour ne pas éclater en sanglots et ne pas lui montrer à quel point elle était déçue. Elle attendait des mots tendres, des caresses mais, en se levant de table, Rodolphe se borna à lui dire, avec un sourire il est vrai :
— Je vais fumer un cigare dans la salle de billard. J’irai vous rejoindre tout à l’heure.
La nuit qui suivit fut un désastre. Habitué à des maîtresses ardentes et averties qu’il choisissait d’ailleurs volontiers chez les tziganes, Rodolphe avait trouvé charmante, mais un peu trop couventine, cette petite Belge affolée, qu’il aurait fallu amener, avec beaucoup de douceur et de patience à cet instant crucial où la jeune fille devient femme. Mais si Stéphanie lui inspirait une certaine affection, Rodolphe n’était pas véritablement amoureux et, surtout, il n’avait aucune patience. Cette nuit de noces ne fut pour lui qu’une formalité comme une autre, et il s’en acquitta assez cavalièrement.
Au matin, Stéphanie mariée, découvrait que, si elle aimait passionnément son époux, il ne lui rendait qu’un sentiment assez tiède, et se sentit désespérément seule. Elle pensait à sa sœur Louise, s’échappant de la chambre nuptiale à l’aube de ses noces et se réfugiant, sanglotante et désespérée, dans l’orangerie de Laeken… Le sort des princesses royales était-il vraiment de ne connaître dans les premiers temps du mariage que des moments pénibles ?
À vrai dire, Louise semblait s’être accommodée de Philippe et de la vie viennoise. Très élégante, très dépensière, très courtisée, elle ne s’occupait plus guère de son époux, et c’était elle qui avait conseillé à Rodolphe, avec qui elle avait quelque peu flirté, d’épouser sa petite sœur.
— Elle me ressemble, lui avait-elle dit. Elle te plaira…
Lui plaire ? Stéphanie en venait à se demander si elle y parviendrait jamais…
En fait, elle ne devait jamais ni comprendre son époux ni être comprise de lui. Et avec le recul du temps, il paraît difficile d’en faire grief à Stéphanie. Qui aurait pu
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