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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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essayer de
les apprivoiser, d’en faire mes sœurs comme vousavez été mon frère. Venez, Mégère, Tisiphone, Alecto,
venez troubler le sommeil du vieil homme. Il n’en a
plus pour longtemps.

 
    LA PROMESSE DE NIVÔSE
     

    Je le revois peu avant sa mort. C’était en 1806, l’ère
vulgaire venait d’être rétablie, j’avais sept ans. Il portait
cet habit vert foncé qui ne le quittait jamais, un jabot
de dentelle, une culotte de nankin, des bas blancs. Sa
mise était impeccable, son allure soignée, ses souliers
cirés, ses cheveux poudrés et brossés ; il portait beau.
Il me fit asseoir sur ses genoux, dans ce jardin planté
de tulipes rouges comme le sang, où un perroquet
gris comme le ciel – nous étions en janvier, mais tout
le monde disait encore nivôse – psalmodiait d’une voix
nasillarde la litanie de jurons que nous lui avions
appris.

    Ce jardin, il s’y promenait chaque fois que le soleil,
quittant sa tanière, dévoilait sa chevelure blonde,
soyeuse, il s’y promenait son archer dans une main, sa
viole de gambe dans l’autre, et il jouait fort mal de cet
instrument aujourd’hui tout à fait oublié.

    Il avait le dos voûté, les mains tremblantes, le souffle
court ; il n’en avait plus pour longtemps. La grande
faucheuse pouvait le prendre là, tout de suite, oudemain, ou dans un mois. C’était l’affaire de quelques
jours, de quelques semaines tout au plus. Il refusait
pour autant de se morfondre et de sombrer dans la
mélancolie. Il y avait chez lui une farouche volonté
de vivre qu’il puisait dans les maux l’accablant jour
et nuit, et dont il tirait pourtant une philosophie
empreinte de gratitude et de résignation : « La nature
est bien faite, disait-il. Elle nous diminue peu à peu
avant de nous effacer complètement. »

    Cet après-midi de nivôse, il avait décidé, semble-t-il,
de pourvoir à mon éducation. Qui, mieux que lui,
aurait pu m’apprendre les choses de la vie ? Il avait traversé le siècle comme le marin traverse la tempête, la
peur au ventre, les yeux rivés sur l’horizon, sur le maelström de vagues rugissantes, les doigts égrenant un
chapelet parce qu’il vaut mieux avoir Dieu avec soi, les
mains accrochées au bastingage qu’on ne lâche que
pour embrasser furtivement un rosaire parce qu’il faut
redoubler de précautions – on n’est jamais trop prudent. En ces temps où la justice exterminait avec une
célérité forçant l’admiration, c’était peut-être le seul
moyen de survivre. Il fallait donner des preuves de son
civisme, mais pas trop : les modérés étaient envoyés à
l’échafaud, et parce que ce n’était pas assez, jamais
assez, les exagérés aussi ; il fallait choisir son camp, et
espérer que l’on fît le bon choix : on pouvait défendre
un accusé puis se défendre de l’avoir trop bien
défendu, être juge un jour et jugé le lendemain, garder
des prisonniers, être gardé à son tour ; il valait mieux
être du peuple que de la noblesse ou du clergé, mais
on pouvait être issu du peuple et connaître la mêmeissue fatale que la noblesse et le clergé. Vous comprendrez, dès lors, que celui qui avait la charge de donner
la mort pût craindre à chaque instant que les rôles s’inversassent et qu’on vînt la lui donner.

    Il me caressa la nuque, posa sa lourde main sur mon
épaule, et en guise d’incipit me fit promettre une
chose : « Promets-moi, Henri-Clément, promets-moi de
perpétuer la lignée. » Je ne savais pas de quoi il parlait.
Je promis. Les promesses engagent-elles les enfants de
sept ans ? Pardonnez-moi, grand-père, si j’ai failli à la
promesse de nivôse.

    *

    « Tu es un Sanson, me dit-il. Toi aussi, un jour, tu
seras bourreau. »

    C’était la première fois que le tintement lugubre de
ce mot parvenait à mes oreilles candides. Ce mot, ce
titre, puisque c’en était un, mon grand-père l’exécrait,
et il l’eût volontiers rayé du dictionnaire de l’Académie. Il lui préférait celui d’exécuteur des hautes
œuvres, et Camille Desmoulins pouvait bien dire « j’appelle un chat un chat, et Sanson bourreau », mon
grand-père répondait coup pour coup. Il fit même un
procès à Gorsas, ce plumitif immoral – il fut enfermé à
Bicêtre pour avoir compromis de jeunes garçons – qui
persistait dans ses torchons à l’appeler bourreau. Eh
bien, le bourreau eut gain de cause : quelques mois
plus tard, pour de tout autres raisons, Gorsas

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