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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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fut
condamné à mort. L’histoire ne dit pas si, au moment
où Charles-Henri Sanson lâcha le ressort pour libérerla lame de la guillotine, un rictus narquois se dessina
sur la commissure de ses lèvres.

    Charles-Henri Sanson, c’était le nom de mon grand-père. C’est le nom, surtout, d’une lignée d’exécuteurs
dont l’origine remonte à l’an 1688, quand Charles-Louis Sanson, dit Longval, tomba en pâmoison devant
les grâces de Margueritte Jouenne, fille de bourreau.
En l’épousant, il entra dans la confrérie, astreignant sa
descendance à exercer ce sinistre métier. Car le mort
saisit le vif, les exécuteurs passent, la charge demeure :
après Charles-Louis, dit Longval, il y eut Charles, puis
Charles Jean-Baptiste, puis Charles-Henri, mon grand-père, quatrième du nom. Puis ce fut au tour d’Henri,
son fils, et enfin au mien.

    « Tu seras bourreau, reprit-il. Comme mes frères... »

    Ils étaient sept dans la fratrie. Souvent, Charles-Henri, en sa qualité d’aîné, les invitait à dîner chez lui,
rue Neuve-Saint-Jean. Leurs aides faisaient le service et
pour s’y retrouver, parmi tous ces Sanson, ils les désignaient du nom de la ville où chacun officiait : il y avait
là Monsieur de Tours, Monsieur de Blois, Monsieur de
Reims... Mon grand-père était Monsieur de Paris. Le
surnom est resté.

    « Comme ton père... », ajouta-t-il.

    Mon père, Henri Sanson. Grand, chauve, mœurs
austères, exécuteur des hautes œuvres jusqu’à sa mort,
en 1840. Laissons-le reposer en paix. Ce n’est pas lui,
après tout, qui aura marqué au fer rouge l’illustre
lignée des Sanson.

    « Et comme ton grand-père. »

    Le voilà, le Sanson, le Grand Sanson comme on l’appelait, qui conféra au patronyme ses lettres de noblesse.
Ses lettres de noblesse et d’effroi. Il avait commencé
tôt, très tôt, dans le métier. À dix-sept ans, il fut de ceux
qui supplicièrent Damiens en place de Grève, comme
Ravaillac l’avait été deux siècles plus tôt : au feu de
soufre on lui brûla le poing droit – celui qui avait tenu
le poignard –, et à l’aide de tenailles on ouvrit ses chairs
bientôt arrosées d’huile bouillante, de cire et de plomb
fondus. Puis il fut écartelé par quatre chevaux, ses
membres et son corps réduits en cendres et ses cendres
jetées au vent. Tel était le prix à payer pour avoir porté
la main sur la personne du roi. Le matin même de son
exécution, quand on vint le chercher pour lui lire la
sentence, Damiens prononça cette phrase désormais
ancrée dans la mémoire collective, cette phrase que
l’on se répète depuis à demi-mot, par nuit de pleine
lune, à la lueur d’une bougie : « La journée sera rude. »

    Rude, elle le fut aussi pour le jeune bourreau, à
jamais hanté par les hurlements de cet homme qui
s’était vu infliger les pires souffrances, cet homme qui
vit son bras gauche puis ses cuisses séparés de son
tronc, et qui n’expira qu’une heure plus tard, après
que le seul membre qui lui restât fût enfin disloqué.

    « On a beau dire, répétait souvent mon grand-père,
la guillotine est une grande avancée. C’est le mode
d’administration de la mort le plus sûr, le plus prompt
et le moins douloureux. » On pouvait le croire sur
parole : il avait appliqué la question, pendu des déserteurs, écartelé des parricides, marqué des bagnards au
fer rouge, manié le fouet et le merlin... La guillotine,
c’était tout autre chose : « Elle aura été la grande affairede ma vie. » Car en 93, il était devenu la clef de voûte
de la Révolution. Il consentit, au nom de la justice et
de la société, au nom, peut-être, de la République naissante, au nom – que sais-je ? – de la liberté, de l’égalité,
de la fraternité, à devenir l’instrument de la Terreur,
le bras armé de Robespierre, du Comité de salut public
et du tribunal révolutionnaire. On connaît le mot de
Saint-Just, il fallait que les cimetières, et non les prisons, regorgent de traîtres. Aussi la royauté, la noblesse,
la Gironde, la Montagne, tout ce que Paris pouvait
compter d’hommes, de femmes, parfois même d’enfants, périrent par ses mains dans cette grande frénésie
de la décollation.

    Et si, justement, on lui demandait : « Combien
d’hommes, de femmes, d’enfants ? », il restait évasif :
« Je ne sais pas. Beaucoup. Plusieurs centaines...
Quelques milliers... » Et pourtant, il savait. Il

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